Dérivations

Pour le débat urbain

Spatialités et finalités des prisons

S’interroger sur la prison comme Institution, c’est d’abord questionner son origine, son existence et son contexte d’émergence. Ensuite, c’est considérer la forme donnée à cette construction sociale, sa structure dans une approche fonctionnelle de l’espace, mais aussi du temps, au regard de ses objectifs premiers. Ainsi en est-il des lieux qui enferment pour protéger la société et punir le criminel. Quel est alors le sens de la punition ? Punit-on pour corriger, réformer ou changer l’individu ? La prison, dans sa forme spatiale et temporelle, produit-elle les effets attendus ? Les témoignages et les rapports d’observations réalisés par les instances nationales et internationales amènent à s’interroger sur la concordance entre moyens et fins, entre sens et finalités. Les questions spatiales et temporelles trouvent une résonance singulière à l’heure où, d’une part, les injonctions à régler les problématiques liées à l’incarcération se multiplient (surpopulation, conditions de détention, taux de récidives) et que, d’autre part, les réponses de politique publique semblent s’opérationnaliser petit à petit via les masterplan I, II et III (notamment par l’augmentation de places). Cette vision de l’espace et du temps, développée par le philosophe Michel Foucault , sera vue au prisme des prisons belges et de leurs enjeux actuels.

L’émergence des prisons et le projet carcéral

Une première approche sociohistorique permet de penser la prison comme contingente à une période déterminée : la prison, telle qu’on la connaît, n’a pas toujours été ainsi et il aurait pu en être autrement. En effet, ce que la sociologie et l’anthropologie nous apprennent, c’est que chaque société produit des réponses qu’elle structure en son sein en les institutionnalisant face aux phénomènes qu’elle rencontre ou qu’elle développe elle-même. Il en est de même pour la gestion de la criminalité. Foucault, dans son ouvrage Surveiller et punir, retrace la chronologie de cette gestion : de l’exil à l’enfermement en passant par les supplices. D’après l’auteur, c’est au XVIIIe siècle qu’apparait un réel projet dans la punition avec une nouvelle stratégie qui amorce un changement : « faire de la punition et de la répression des illégalismes une fonction régulière […] à la société : non pas moins punir, mais punir mieux ; punir avec une sévérité atténuée peut-être, mais pour punir avec plus d’universalité et de nécessité ; insérer le pouvoir de punir plus profondément dans le corps social » . Soit une approche utilitariste de la punition, pour l’individu, mais aussi pour la société elle-même avec une assise du système juridique et le développement du droit pénal. C’est à partir de la reconnaissance de l’humanité du criminel que ce dernier deviendra la cible de l’intervention car elle prétend le corriger et le réformer. La criminologie se structure au XIXe siècle, période concomitante au développement des sciences sociales au sens très large, mais aussi des pratiques pénitentiaires. Les prisons, dans la forme qu’on leur connait, apparaissent dans ce contexte.

Ainsi, la manière de considérer l’incarcération et le projet de celle-ci sur l’individu a profondément changé en fonction des typologies des formes de délinquance (du délit au crime), de la gradation des punitions qui y sont relatives ainsi que du pouvoir réhabilitatif ou non de la punition. Autrement dit, de la manière dont l’individu est « logiquement transformé » par la réponse pénale qui est proposée. Au point d’en avoir oublié tout ce qui avait existé auparavant, la prison est devenue, d’après Rossi en 1829, la « peine des sociétés civilisées » .

Le traitement de la criminalité, avec l’apparition des prisons au XIXe siècle, s’envisage d’une part dans un souci de protection de la Société et, d’autre part, de punition de l’individu criminalisé. Ces deux fonctions mises en exergue par Foucault — surveiller et punir — contribuent à la légitimité du pouvoir en place, car c’est une solution directe apportée à l’insécurité, elle incarne une symbolique forte dans sa visibilité physique — l’effet dissuasif — et elle a pour finalité de réformer le criminel.
De ces deux facettes correspondent des mises en forme de l’espace par le déploiement des sciences et pratiques pénitentiaires, à la fois dessein et dessin. Le postulat dénoncé par Foucault est double : la docilité des corps et la mise en conformité, par l’espace et le temps, vont produire obéissance et amendement du délinquant . En agissant sur le corps, c’est sur l’esprit que l’on agit également. Et l’auteur de poursuivre « il y a eu, au cours de l’âge classique, toute une découverte du corps comme cible de pouvoir […] au corps qu’on manipule, qu’on façonne, qu’on dresse, qui obéit, qui répond, qui devient habile ou dont les forces se multiplient » . Le philosophe précise que c’est l’échelle d’intervention qui est innovante, celle de l’individu, de ses gestes et de sa posture. Les disciplines sont devenues, à partir de cette période, une forme légitimée de domination sur l’individu . L’univers carcéral est alors pensé dans cette veine : c’est le marquage sur le plan, la distribution de l’espace tel qu’il est conçu par rapport à la manière dont le détenu est considéré, la manière dont il interagit ou pourrait interagir avec les autres détenus, le rôle et la place des « gardiens de prison » et la manière dont l’espace est structuré et supposé structurant pour l’individu. Quelques règles balisent alors le fonctionnement : un quadrillage spatial précis où chaque acteur est seul, parfaitement individualisé et parfaitement visible, ce qui inspira Bentham dans le modèle de l’architecture panoptique . Tout cela relevant de techniques de subordination et d’assise du pouvoir en place. Par exemple, le quadrillage disciplinaire comme toutes les instances de contrôle individuel, est basé sur ce que Foucault appelle le double mode : « celui du partage binaire et du marquage ( […] dangereux — inoffensif) et celui de l’assignation coercitive, de la répartition différentielle (qui il est, où il doit être, par quoi le caractériser, comment le reconnaitre, comment exercer sur lui, de manière individuelle, une surveillance constante, etc.) » . Autrement dit, l’individu est identifié et on sait ce qu’il fait car il est « derrière les barreaux ». De ces « sciences pénitentiaires » vont découler des mises en forme de l’appareil carcéral au XIXe siècle dont nombre de prisons belges : la prison de Mons ouverte en 1870 ; la prison de Namur en 1874 ; la prison de Saint Gilles, ouverte en 1884 ou la prison de Nivelles ouverte en 1908.

Des enjeux du système carcéral

Le projet ainsi dessiné, il convient de se pencher sur le vécu dans l’espace et le temps de l’incarcération. L’institution carcérale est ainsi mise en tensions, sans aucun doute dès son apparition : exclusion — insertion / proximité — distance / baisse de la criminalité — hausse du taux de détention / déresponsabilisé — responsabilisation.

Exclusion / insertion

Tout d’abord, parce qu’une des finalités de la prison est d’exclure l’individu de la Société en vue d’une réinsertion ultérieure . Le pouvoir de punir est désormais vu comme une fonction générale et régulatrice de la société. Il importe alors de s’interroger sur la distinction entre la notion de punition et celle de la sanction. La première est relative au fait de corriger un individu, c’est la dimension répressive, celle du pouvoir incarné sur la personne. Tandis que la seconde, la sanction, relève de la dimension réparatrice et est relative au comportement. Et c’est pourtant le comportement de la personne qui est considéré comme déviant et non la personne de manière absolue. Cette manière de penser avec la sémantique nous renseigne sur le glissement opéré dans la focale opérée sur l’individu ou sur le comportement de celui-ci. Un individu n’enfreint pas la Loi par ce qu’il est mais bien par ce qu’il fait. Pourtant, la prison s’est attachée à punir, pour paraphraser Foucault, par le corps et pour l’esprit « La prison a été dès le départ une “détention légale” chargée d’un supplément correctif, ou encore une entreprise de modification des individus que la privation de liberté permet de faire fonctionner dans le système légal » . Cette privation de liberté s’illustre dans une conjonction de restrictions spatiales et temporelles : la majeure partie du temps en cellule (la plus petite unité du système, définie par un métrage au sol par détenu), entre l’espace individuel et collectif, dans une temporalité minutieusement déterminée, répétitive, par un rythme précis. La solitude étant alors vue comme un instrument de réforme, « l’isolement assure le tête à tête du détenu et du pouvoir qui s’exerce sur lui » . Les heures sont structurées par des plages horaires et des moments construits, du lever au coucher, avec une rigueur signifiée dans le découpage : temps passé en cellule, en préau, horaires et fréquence des visites, distribution des repas, temps pour la douche, activités et travail (quand la peine le prévoit et ceux-ci sont disponibles), avec préparations, anticipations et surveillances. C’est de sa liberté d’aller et venir avec le dehors que le détenu est privé mais aussi la liberté de disposer de son temps et de son espace.

Proximité / distance

Une autre finalité de la prison est celle de la mise à l’écart, parce qu’il faut protéger l’innocent (et la/les victimes effectives et potentielles) et, par extension, la société, dans un jeu proxémique , par la mise à distance spatiale et donc sociale. Le prévenu et le détenu sont mis à l’écart de la société, ils sont confinés dans un monde à part, qui répond à ses propres règles, extrêmement différentes de celles du monde extérieur. Les experts, témoins, prisonniers, gardiens, juges s’accordent sur le fait que le recrutement des grands délinquants s’opère dans le carcéral, par les filières et les regroupements qu’il permet et organise.

Les contacts avec la société sont pensés dans la discontinuité. Principalement avec les familles et les proches — si tant est qu’il y en ait — et que les horaires des visites et l’accessibilité de la prison les permettent. Le type de visite est fonction du comportement du détenu ou à la demande de la personne qui lui rend visite : à table, derrière le carreau, dans une salle hors surveillance. L’organisation de ces visites dépend de chaque prison bien que le cadre général relève du Fédéral. De l’autre côté, la proximité, voire la promiscuité se joue alors entre les détenus dans une logique contradictoire de se faire respecter des autres détenus, mais aussi des surveillants pénitentiaires. Les contacts et interactions sont forcés avec les autres détenus en cellule lorsqu’elle est collective, à la promenade, en activité ou à la douche (sauf pour les rares cellules généralement dans les prisons récentes qui en sont équipées). La proximité avec les gardiens omniprésents, derrière la porte ou prolongée via les innombrables caméras de surveillance, dans une perpétuelle mise en observation afin de déceler le moindre écart de conduite. Des gardiens dont le détenu a d’ailleurs continuellement besoin pour la moindre action : manger, se laver, cantiner, sortir, avoir de la visite, téléphoner, voir le médecin, etc. Il importe alors d’avoir une reconnaissance par ces derniers : les rapports sur les comportements des détenus ont une incidence sur son champ des possibles, par la réduction ou privation de possibilités et/ou privilèges. La reconnaissance s’applique également aux pairs : les territoires sont appartenances dans un univers ultra codé et normé par des enjeux de pouvoir et de dominations. Le détenu aura accès aux espaces collectifs en fonction de son acceptation et de sa place octroyée par les communautés en présence. La survie en prison passe ainsi par l’adaptabilité et la capacité des individus à adopter le comportement requis aux yeux des autres, qu’ils soient codétenus ou membres du personnel encadrant |1| . Si la prison doit permettre à l’individu de se réinsérer dans la société, celle de dehors, pourquoi s’efforce-t-elle tant à l’en éloigner ? En effet, plus le retrait de la société est prolongé, plus les chances de réinsertion diminuent. La spirale est dès lors infernale, car la prison produit la récidive, elle produit un univers homogène, une communauté d’apprentissage de la délinquance, dans une promiscuité criminogène.

Baisse de la criminalité / hausse du taux de détention

Troisième paradoxe, celui de la baisse de la criminalité relative |2| et de la hausse du taux de détention en Belgique. Bien que le nombre de peines alternatives soit lui aussi à la hausse, il convient alors de se pencher sur les raisons de l’emploi de la peine privative de liberté. Selon Philippe Mary, Directeur du Centre de recherches criminologiques, on emprisonne aujourd’hui d’avantage quand on compare les taux de détention de ces dernières années |3| . Si le taux de détention était de 93,5 sur 100 000 personnes en 2010, il est de 113,8 en 2013. Mary explique cela par « un boom du contrôle et donc de la criminalisation qui, de surcroit, vise de plus en plus des groupes entiers de la population, à commencer par les groupes ethniques » |4| . Si l’on contrôle davantage et que l’on recense et qualifie ce fait, on augmente l’occurrence de ce fait, on le rend visible. Foucault précise cette logique de la carrière disciplinaire en ces termes : « s’il est vrai que la prison sanctionne la délinquance, celle-ci pour l’essentiel se fabrique dans et par une incarcération que la prison en fin de compte reconduit à son tour. La prison n’est que la suite naturelle, rien de plus qu’un degré supérieur […] parcouru pas à pas. Le délinquant est un produit d’institution. Inutile par conséquent de s’étonner que, dans une proportion considérable, la biographie des condamnés passe par tous ces mécanismes et établissements dont on feint de croire qu’ils étaient destinés à éviter la prison »  |5|.

En outre, les chiffres démontrent d’un allongement de la peine privative de liberté, par la comparaison des taux d’entrées et des taux de détention |6| . La surpopulation est importante et reste problématique  |7|, bien qu’elle tende à diminuer ces dernières années. En effet, on observe une forte baisse de la surpopulation passée de presque 25 % en juin 2013 à 8 % en septembre 2015. La population carcérale commence également à baisser et est passée de 11 854 détenus au 15 avril 2014 à 10 469 détenus le 7 juillet 2016 en suivant la politique ambitionnée en augmentant la capacité . Il est à noter que derrière ces chiffres, on retrouve des transferts d’individus : « les étrangers sans titre de séjour » vers les centres fermés ainsi que « les internés psychiatriques » vers des centres psychiatriques relevant du secteur de la santé. L’augmentation des places disponibles n’entraine pas, d’après ces chiffres et malgré les intentions, une diminution attendue de la densité pénitentiaire qui était de près de 110 % en 2016 |8| . Ces chiffres mettent en évidence un problème structurel et non plus conjoncturel dans la gestion de l’espace carcéral, souvent vétuste et insalubre.

Déresponsabilisation / responsabilisation

Enfin, quatrième et dernier paradoxe évoqué ici, celui de la responsabilisation du détenu dans son projet de réinsertion (par le plan de détention individuel) en société. Bien que les objectifs de formation et d’éducation soient préalablement définis au niveau théorique, la mise en forme de ce projet reste pour le moins complexe, par le manque de moyens et par l’organisation qu’elle nécessite. Le détenu est rendu passif structurellement, il se doit de faire passer le temps parce que c’est précisément par cela qu’il est puni. Le jugement prélève un quantum |9| de sa vie, proportionnel à la faute, au délit, au crime commis. Le paradoxe consiste à penser un projet de réhabilitation alors que tout, en dehors de la reconnaissance de sa responsabilité par le jugement, le déresponsabilise dans la vie quotidienne de l’univers carcéral. Responsabiliser, c’est tenir compte de situations singulières et complexes, tenir compte de l’individu en tant que tel alors que l’institution, dans sa forme, dans le temps qu’elle concède, ne le permet pas. L’occupation et le travail |10| ont le mérite de mettre l’individu en projet, mais la prison est, actuellement, incapable de remplir cette fonction de réinsertion et de rééducation.

De plus, la Société et le marché du travail acceptent mal de refaire une place ou de donner une « seconde chance ». Les impacts du casier judiciaire sur l’employabilité ne sont plus à démontrer |11| . La tentation de verser dans les circuits parallèles et de se mettre en conformité avec les prescrits légaux est grande. En outre, le détenu fait face, en prison, à une série de frais inhérents à ses contacts avec l’extérieur ou à son maintien : accès au téléphone payant, tabac, location ou achat de matériel comme une radio ou télévision, produits d’hygiène, etc. L’amélioration de ses conditions de détention sera donc fonction de sa fortune personnelle ou de sa capacité à obtenir de l’argent de l’extérieur. En parallèle de cette idée, est mise en évidence la notion de justice, celle-là même qui est définie par (et pour) la Société. Les statistiques concernant les profils des détenus amènent à penser à une criminalisation d’une partie de la population |12| et pose des questions d’équité : quid de la peine privative de liberté pour la criminalité des cols blancs ? Elles participent pour le moins à penser la justice dans l’intra-muros. La Cour Européenne des Droits de l’Homme est ainsi saisie pour statuer sur les conditions de détention, pour lesquelles la Belgique doit prononcer des engagements (amélioration des conditions et surpopulation notamment). La « grève des gardiens de prisons » |13| de 2016 est assez illustrative de ce qui se joue en termes de moyens. Protéger la société en amenant l’individu à prendre la responsabilité de son projet de réhabilitation doit nécessairement passer par une autre manière de penser la prison ou de penser la sanction, à supposer que la prison puisse ne pas être l’unique solution |14| voire une non-solution pour une grande partie de la population criminelle.

Une réponse politique sur fond d’insécurité sociale

Les constats ainsi dressés, il apparait crucial de se poser la question de la permanence de l’Institution carcérale. En effet, la structuration spatiale et le découpage minutieux du temps n’ont pas les effets de la réhabilitation pourtant sous-jacente à l’architecture et l’organisation des systèmes pénitenciers. Pour reprendre une des hypothèses principales de Foucault, si la prison avait pris un caractère évident il y a deux siècles, il importe de s’interroger sur sa permanence : « […] On sait tous les inconvénients de la prison, et qu’elle est dangereuse quand elle n’est pas inutile. Et pourtant on ne voit pas par quoi la remplacer. Elle est la détestable solution dont on ne saurait faire l’économie ». Il semble en effet y avoir d’autres effets produits que ceux de la mise en conformité, la « normalisation » des individus par la prison telle qu’elle est pensée et dessinée actuellement. Comment expliquer alors le maintien de cette institution ? Elle semble être utile dans l’aspect répressif qu’elle incarne, c’est-à-dire afin de légitimer la violence de l’état. Si la prison perdure, c’est parce qu’elle produit des effets sur la société. Elle est une réponse politique à la criminalité médiatisée, elle participe au maintien de la structure actuelle de la société. Le sociologue Loïc Wacquant exprime en ces termes ce malaise : « Faire disparaître de l’espace public les rebuts de la société de marché — petits délinquants d’occasion, chômeurs et indigents, sans-abri et sans-papiers, toxicomanes, handicapés et malades mentaux laissés pour compte par le relâchement du filet de protection sanitaire et sociale, jeunes d’origine populaire condamnés à une (sur)vie faite de débrouille et de rapine par la normalisation du salariat précaire — est une aberration au sens propre du terme, c’est-à-dire, selon la définition du Dictionnaire de l’Académie française de 1835, un “écart d’imagination” et une “erreur de jugement” tant politique que pénale »  |15|.

La médiatisation de la criminalité n’est pas à négliger dans le processus. Il n’est pas rare — et c’est un euphémisme — d’entendre que tel ou tel évènement aurait pu être évité car « la personne était connue pour des faits similaires », « il était connu des autorités », etc. De plus, les mises en scènes, déjà tragiques, sont « sensationnalisées », rendues plus dramatiques encore, comme si la réalité ne se suffisait pas à elle-même et ciblent les affects et l’émotion des spectateurs |16|.

La question fondamentale est celle de la responsabilité, mais aussi celle du contrôle sur les évènements et de l’analyse rétrospective qui est réalisée a posteriori. Dans un contexte grandissant d’insécurité, qu’elle soit sociale, économique, politique, judiciaire, etc. L’état social agit en apportant des solutions de type « risque zéro », met en œuvre et déploie sa politique sécuritaire.

Le jugement prononcé ne peut pas être approximatif d’autant plus qu’il est prospectif, c’est un pari incertain sur un futur incertain quand il s’agit d’une détention provisoire, d’une remise de peine, de congés pénitentiaires. Rien ni personne ne peut supposer le futur. Mais tout le monde peut faire le lien d’une récidive une fois l’évènement advenu. De plus, les injonctions de l’opinion publique et des médias semblent participer à la mise sous pression de l’appareil juridique et, plus précisément, sur le recours à la peine : faire des lois universelles et les appliquer comme telles, mais aussi tenir compte de chaque cas dans sa complexité et sa singularité. La Justice est désormais appelée à se justifier, à prendre la responsabilité de ses actes et procédures et plus singulièrement encore pour le tribunal d’application des peines (TAP) qui est « sous le feu des projecteurs actuellement » |17| . Les commissions d’enquêtes parlementaires (diffusées en direct, une nouvelle télé réalité voit le jour) contribuent à la mise en examen du système.
Protéger les victimes effectives et potentielles, les citoyens et la société : le populisme pénal engrange des voix et il est urgent de s’en inquiéter. Les mondes politiques et judiciaires s’entremêlent sur ces questions, entre l’émocratie et la démocratie. Chacun devient « juge » et prend « parti(e) » |18| . Les dérives sont dangereuses, car l’instruction est partielle et le point de vue est partial.

|1| Les systèmes de surveillance se multiplient en faveur de la réduction du nombre de surveillants.

|2| La criminalité est à la baisse de près de 5 %, hormis les faits liés au terrorisme et trafics d’êtres humains. stat.policefederale.be/statistiquescriminalite/interactif/graphique-ligne-de-temps-par-figure-criminelle/

|3| En Belgique, la population carcérale moyenne, prévenus et détenus était en 2016 de 10 619 (3 553 prévenus et 6 124 condamnés) soit 0,09 % de la population belge totale.

|4| MARY P., Enjeux contemporains de la prison, p. 15

|5| FOUCAULT, p. 352.

|6| MARY P., Enjeux contemporains de la prison, Publications des Facultés Universitaires Saint Louis. 137. Bruxelles, 2013, p. 22.

|7| Communication de la Belgique concernant l’affaire Vasilescu contre la Belgique (requête 64682/12), Secrétariat du Comité des Ministres, Conseil de l’Europe

|8| Rapport annuel 2016, Direction générale des Etablissements pénitentiaires, Service public fédéral Justice, p. 6.

|9| Une mesure indivisible

|10| En levant l’écueil de la concurrence sur le marché de l’emploi et de la main d’œuvre que cela représente.

|11| Bien que cela soit illégal pour nombre de fonctions voir justice.belgium.be/fr/nouvelles/2017-06-28_extrait_casier_judiciaire

|12| FASSIN D., La force de l’ordre, Points, 2015.

|13| Communication de la Belgique concernant l’affaire Vasilescu contre la Belgique (requête 64682/12), Secrétariat du Comité des Ministres, Conseil de l’Europe

|14| Et de rappeler l’existence des peines alternatives, la création en 1997 des Maisons de Justice et le transfert de compétences récent vers le Communautaire pour ces matières.

|15| WACQUANT L. in Le Monde Diplomatique, « La prison comme arme absolue », septembre 2004, pp. 6-7.

|16| Les scènes de crimes sont sensationnalistes et s’éloignent considérablement des faits tels qu’ils se sont déroulés. Pour le double infanticide à Liège, le groupe Sud presse a mentionné des détails sordides qui se sont révélés inexacts.

|17| Emission « À votre avis » diffusée par la RTBF le 25 octobre 2017.

|18| Au moment même de la rédaction de cet article, la RTBF présente l’émission « À votre avis », diffusion du 25 octobre 2017 et accroche son public par la phrase suivante « La justice doit-elle tout pardonner ? » en référence à la demande de l’avocat de Marc Dutroux et concernant la législation sur les repentis.

Pour citer cet article

Tenaerts M., « Spatialités et finalités des prisons », in Dérivations, numéro 5, décembre 2017, pp. 104-109. ISSN : 2466-5983.
URL : https://derivations.be/archives/numero-5/spatialites-et-finalites-des-prisons.html

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