Dérivations

Pour le débat urbain

La démocratie locale à l’épreuve d’un monde limité

La catastrophe écologique globale interroge profondément notre système politique. S’il nous faut redéfinir nos démocraties, cette réinvention ne peut se passer des villes.

Dérèglement climatique, effondrements du vivant, épuisement des ressources non renouvelables : les désastres écologiques à l’œuvre depuis de nombreuses décennies font aujourd’hui l’objet d’un consensus scientifique. Dans ce contexte, nombreux sont les projets urbains et les politiques publiques s’inscrivant dans une perspective de « ville durable » : pour ne prendre qu’un exemple, en 2020, le ministère de la Ville et du Logement a enrichi le Plan Ville Durable « Habiter la ville de demain » d’une nouvelle feuille de route énonçant dix mesures pour faire face aux défis écologiques (renforcer l’agriculture urbaine dans les quartiers prioritaires, faire émerger des stratégies locales, structurer une filière d’excellence de la ville durable, etc) |1|. Ces initiatives sont souvent associées à une volonté marquée de « faire participer » les citoyens. En effet, les décideurs politiques et aménageurs ne sont pas sans savoir que les enjeux de résilience sont profondément associés à des questions démocratiques. La ville se doit alors d’être « conviviale » : dans l’évolution de sa forme spatiale comme dans les procédures qui la définissent. De tels projets ont pour ambition de répondre à trois crises, intrinsèquement liées : une crise proprement urbaine (liée aux inégalités socio-économiques au sein des villes, au manque de logement, etc.) ; une crise démocratique plus globale — ou plutôt, une crise de la représentativité politique ; et enfin, la catastrophe écologique. L’ambition de ces projets est donc nécessairement immense. Elle pourrait pourtant être sapée par une mécompréhension de la véritable exigence que dictent ces crises : l’exigence d’une refonte profonde de nos imaginaires politiques et d’une réinvention du projet substantiel de la démocratie.

La démocratie contre la nature

Nous avançons ici la thèse, reprise à Bruno Villalba, selon laquelle le projet démocratique est le produit d’une histoire qui a mené nos systèmes politiques à ignorer leur « fondement matériel » |2|. Bruno Villalba recense les valeurs fondatrices des démocraties représentatives occidentales : on y retrouve notamment le principe de liberté (les individus doivent pouvoir faire valoir leurs droits et exercer leur libre arbitre) et celui d’égalité (cette liberté ne doit pas être le privilège de quelques-uns). À ces valeurs pionnières, s’ajoutent des principes orientant les procédures démocratiques : le vote, la délibération, le débat . Mais l’élaboration de ces idéaux et mécanismes politiques repose bien sur une donnée extra-sociale : la « nature ». Bruno Villalba le rappelle : ce projet a été réalisé « en domestiquant la nature, en l’organisant, en la valorisant au profit du développement humain ; il fallait pouvoir satisfaire les besoins des hommes et ensuite satisfaire leurs désirs. La moindre parcelle de terre a ainsi été conquise (on songe à la colonisation, cette extension du sol d’une nation) pour capter les richesses du sol et du sous-sol. Cette conquête a structuré l’organisation politique de la démocratie » |3|. Certes, d’autres systèmes que celui de la démocratie représentative ont pu cultiver ce même rapport d’exploitation à l’environnement et au vivant, pour émanciper les humains des contraintes naturelles et tenter de réaliser ce que leur idéologie politique définissait comme bien commun. Mais il n’en demeure pas moins vrai que l’idéal démocratique de libre arbitre s’est développé en affirmant son assise sur son environnement et, paradoxalement, en oubliant les limites mêmes de celui-ci. Le projet démocratique s’est pour ainsi dire développé « hors-sol ».

Or, le modèle urbain semble s’être développé hors-sol lui aussi, et a pu être associé, dans les représentations collectives, aux mêmes principes : un idéal de liberté, de rationalité, de progrès. Le fait urbain permettrait aux individus de profiter d’une certaine intensité des interactions sociales, culturelles, marchandes, qui participeraient à la réalisation de leur liberté |4|. Ainsi, la multiplication des villes et leur accroissement à travers un phénomène d’étalement urbain pourraient asseoir l’idée selon laquelle « la moindre parcelle de terre doit être conquise », au nom de cette intensité des échanges qui permettrait aux individus d’exercer leurs libertés urbaines. Ce développement urbain n’est pas le fait des seules démocraties : l’haussmannisation des avenues parisiennes, qui devait refléter la modernité napoléonienne, s’inscrit dans une organisation politique bien différente de celle que nous connaissons. Cependant, les villes occidentales actuelles, où se concentrent d’ailleurs les principaux lieux de pouvoir administrant nos systèmes politiques, sont aujourd’hui au cœur de ces défis qui interrogent les démocraties. Qu’advient-il en effet du modèle urbain lorsque la catastrophe écologique globale s’affirme, interrogeant les limites de notre projet démocratique ? Peut-on se contenter d’adopter de nouvelles politiques publiques et de réformer les procédures démocratiques pour y faire valoir la participation citoyenne, sans redéfinir le cadre théorique dans lesquelles elles s’inscrivent ? Nous nous proposons de prendre appui sur les travaux de Bruno Villalba pour comprendre comment les villes pourraient devenir le théâtre d’une démocratie qui chancelle ; et pour tenter d’appliquer au modèle urbain des propositions politiques « écologiquement situées » |5|.

Démocraties à l’âge des limites, limites des démocraties

Il se pourrait que notre système politique soit la première victime de la catastrophe écologique globale : les temporalités de la démocratie et celle de l’urgence écologique semblent en effet en inadéquation. Le projet démocratique que nous connaissons repose sur un imaginaire marqué par le paradigme de la durée : en se développant hors-sol, en méconnaissant les limites de l’environnement sur lequel elle s’appuie, notre organisation politique s’est déployée sans réellement considérer la question du quand ? Quand arriverons-nous au bout des stocks de ressources ? Quand franchirons-nous irréversiblement les limites planétaires |6| ? Le projet démocratique s’inscrit dans une conception du temps sans fin, là où son environnement lui rappelle sa propre finitude. Ainsi, les réponses apportées aux crises écologiques relèvent encore du « développement durable » — concept pourtant hérité des années 1970. Cinquante ans plus tard, les constats scientifiques sont sans appel : ces politiques n’auront pas été suffisantes. Pourtant, les pistes de solutions étudiées actuellement — notamment les solutions techniques relevant de la géo-ingénierie — adoptent encore ce principe de durée, se refusant à considérer plus justement le moment historique dans lequel nous nous trouvons. Au contraire, la temporalité de l’urgence écologique est celle du délai : nous sommes désormais, selon le philosophe Günther Anders, entrés dans « les temps de la fin » |7|. Nous sommes chaque jour capables de nous anéantir nous-mêmes, et c’est bien cet horizon temporel, cette possibilité d’une fin, qui doit guider l’action politique si elle entend s’adapter à la catastrophe. Malheureusement, quand l’urgence écologique nous intime d’agir au plus vite tout en prenant acte de cette finitude, les procédures de délibération démocratique réclament pour leur part du temps. Pris dans cet étau, la pratique du débat semble insuffisante. Saurons-nous seulement adapter nos procédures délibératives à cette urgence ? Et quand bien même, ce serait un leurre de croire qu’une simple refonte des mécanismes de la démocratie puisse être à la hauteur des enjeux qui nous occupent : il s’agirait là d’une illusion procédurale. Bruno Villalba évoque ainsi une possible « contraction démocratique » |8| : l’idéal de démocratie serait réduit à une seule « réaffirmation de ses pratiques procédurales ». Une conception procédurale de la démocratie l’emporterait alors sur une conception plus substantielle de celle-ci. On imagine aisément ce à quoi une telle contraction démocratique peut mener : une mise en compétition des idéaux politiques. On sait combien les situations de crise révèlent cette compétition : après les attentats de Paris de 2015, deux camps s’opposèrent ; les uns plaidant pour un idéal de sécurité, favorables au renouvellement de l’état d’urgence et l’interdiction de manifester ; les autres, à l’instar du philosophe Giorgio Agamben, dénonçant des mesures considérées comme liberticides |9|.

Ainsi, le paradigme de la durée nous empêche d’adopter des politiques s’inscrivant réellement dans une perspective de catastrophe écologique. Nos démocraties s’en trouvent menacées, dans leurs procédures comme dans leur projet substantiel. L’idéal démocratique vise l’autonomie du sujet politique, qui s’affirme en se positionnant parmi plusieurs trajectoires de vie possibles : « Choisir, c’est offrir et se donner la possibilité de construire ce que l’on entend être. […] Choisir d’être, c’est donc décider d’accorder une valeur à telle ou telle option morale, mais aussi définir dans quelles conditions on entend vivre » |10|. Cette capacité à faire des choix est indispensable aux individus pour qu’ils se constituent en sujets. Or, c’est justement sur le spectre de ces choix que la catastrophe écologique agit : elle le restreint. Ainsi, le mégafeu qui a touché l’Australie en janvier 2020 a donné lieu à un « choix » douloureux : tuer par hélicoptères des milliers de dromadaires assoiffés, ou les laisser détruire les lieux de vie de populations aborigènes qui, déjà vulnérables, s’en seraient trouvées radicalement mises en péril. Un tel choix ne porte plus sur le désirable, mais sur le moins pire : voilà à quoi l’activité politique se trouve réduite, voilà la bien étroite étendue du champ des possibles à laquelle nous nous condamnons. Cette dynamique de restriction du champ des possibles affecte nos capacités de subjectivisation et, à en croire Hans Jonas, elle met en péril ce qui doit précisément définir notre humanité. Pour le philosophe allemand, nous ne sommes humains qu’en tant qu’une humanité demeure à venir : les générations qui nous succèdent doivent disposer de conditions d’existence égales aux nôtres, et donc d’une même liberté, une même capacité à faire des choix collectivement en vue de l’avenir |11|. Par conséquent, la catastrophe écologique induit un réel désenchantement à l’égard des promesses démocratiques, l’autonomie du sujet politique se trouvant menacée : nous ne manquons pas seulement de temps, mais aussi de perspectives pour affirmer nos choix. Et ces perspectives s’amenuisent à mesure que le temps passe.

Dans ce contexte, qu’en est-il des villes ? Le rôle des villes dans le désastre écologique n’est plus à démontrer. Elles sont à l’origine, pour ne prendre qu’un exemple, de 70 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais leur vulnérabilité face aux dérèglements climatiques et environnementaux est également certaine. La multiplication des événements climatiques extrêmes (canicules, sécheresses, inondations) ont un impact sur les réseaux de transports ferrés et sur les voies routières, menaçant les systèmes d’approvisionnement de territoires particulièrement dépendants des régions rurales et agricoles. L’autonomie alimentaire de la ville de Paris, en cas de rupture de cette chaîne d’approvisionnement, est de 3 jours |12|. Comme le rappelle d’ailleurs Yves Cochet, les grandes villes françaises n’ont pu se maintenir durant la crise sanitaire du Covid-19 que parce que les camions transeuropéens ont continué d’alimenter les magasins — tout comme les ouvriers et ouvrières ont continué de travailler, s’exposant pourtant au virus |13|. Mais qu’adviendrait-il, si ces systèmes d’approvisionnement, pour évoquer ce seul aspect, devaient être coupés ? Les villes sont très fortement peuplées, et souvent marquées par des inégalités socio-économiques croissantes — que la crise sanitaire et le confinement ont d’ailleurs révélées, s’il fallait encore qu’elles le soient. À Saint-Denis, en région parisienne, des centaines de personnes se bousculaient pour avoir accès à des supermarchés vides de certaines denrées, là où les magasins d’arrondissements privilégiés pouvaient mettre en œuvre de véritables mesures de distanciation. En l’absence de mesures politiques plus radicalement tournées vers une perspective écologique, ces inégalités sont donc amenées à s’affirmer et à alimenter de graves tensions sociales. De la même manière, la catastrophe écologique doit entraîner de nombreuses migrations climatiques — 140 millions de personnes pourraient être concernées |14|. Le Bangladesh est déjà particulièrement touché par cette problématique : la montée des eaux entraîne une importante croissance des villes du pays, et notamment de la capitale, Dhaka. Les villes européennes devront aussi faire face à ces changements, dans une époque pourtant traversée par de douloureux débats autour de l’accueil des migrants. Le projet démocratique, s’il ne se réinvente pas depuis le prisme des enjeux écologiques, pourrait donc échouer à garantir les conditions de vie nécessaires à l’exercice de l’autonomie des individus. Et condamner les populations — notamment urbaines — à la barbarie pour l’accès aux ressources.

Expérimentations démocratiques face à la contrainte

Il est donc impératif de repenser de fond en comble le projet démocratique à l’aune de la catastrophe écologique. Il ne s’agit pas seulement de s’intéresser aux procédures, mais bien de réinventer le cadre théorique dans lequel l’idéal substantiel de la démocratie s’inscrit. Plutôt que de renoncer aux principes de liberté et d’égalité, on admettra que ces idéaux sont intrinsèquement liés à un principe de responsabilité — principe que Hans Jonas défendait déjà en 1979. Notre liberté se heurte à ce qu’il nous est effectivement possible de faire ou non, et il s’agit d’en tenir compte dans nos actions, tout en garantissant que nous demeurions égaux dans l’exercice de cette liberté. De la même manière, il importe de renoncer au paradigme de la durée et de la continuité pour adopter celui du délai. Une telle révolution, dans les imaginaires politiques, doit nous permettre de fixer des priorités guidant l’action collective, d’identifier ce à quoi nous tenons et ce à quoi nous renonçons. Ainsi, il serait possible d’inventer des politiques dont le « référentiel intègre l’idée de finitude » |15|. Il ne s’agit pas là d’une absolue démission du politique soumis à l’environnement : il s’agit de sauver nos capacités d’autodétermination face à la restriction des possibles qui les menace. Nous proposons d’envisager quelques mesures qui pourraient faire l’objet d’expérimentations (mesures de rationnement, logique de communs — positifs ou négatifs — autour de lieux laissés vacants) : autant de pistes à explorer dans les villes.

Parmi ces possibles mesures, on distingue notamment le rationnement, étudié par Mathilde Szuba. Les exemples de ressources ayant fait l’objet de politiques de rationnement ne manquent pas : les denrées alimentaires, dans de nombreux pays durant la Seconde Guerre Mondiale, ou encore à Cuba, à partir des années 1960 ; le pétrole aux Pays-Bas, en 1973 ; l’eau, en 2018, dans la ville du Cap en Afrique du Sud ; etc. Ces mesures s’appuient sur des modalités variées — système de coupons, de carnets, de cartes électroniques… Mais ce sont surtout les perceptions de ces politiques par les populations qui diffèrent, selon les justifications politiques qui y sont apportées. Ainsi, le rationnement, en France, s’organise dans le contexte de l’Occupation et devient vite très impopulaire, là où, en Grande-Bretagne, on y voit un effort collectif et un mécanisme égalitaire de redistribution des ressources : à la fin de la guerre, 77 % des Britanniques s’estimaient satisfaits du rationnement |16|. Ces politiques de rationnement pourraient être remobilisées pour faire face aux crises environnementales et climatiques : cette idée fut d’ailleurs portée dans les années ’90 par des chercheurs britanniques, à travers un projet de « carte carbone », qui fut bel et bien envisagé par le gouvernement avant d’être abandonné en 2008 |17|. Ces politiques pourraient s’accompagner d’autres logiques d’action collective, inscrites dans ce même cadre théorique intégrant la contrainte naturelle. Ainsi, on désigne comme « communs » la gestion collective d’une ressource, d’un espace (lac, forêt…) ou d’une infrastructure par une communauté, qui se dote de règles et dispositifs de gouvernance à son égard. Les ressources, dans cette définition, sont donc considérées comme positives, et il s’agit d’en organiser l’exploitation. Mais des communs « négatifs » sont aussi imaginables, comme le montrent Lionel Maurel et Alexandre Monnin |18|. Une même logique d’action collective devrait viser à ne pas exploiter ces ressources positives, à travers des mesures de préservation ; à limiter la production de ressources aux effets négatifs (déchets industriels) ; et dans le même temps à gérer des ressources négatives déjà produites (les centrales nucléaires désaffectées) |19|. Dès lors, les politiques de rationnement permettent précisément de pallier les effets négatifs que pourrait créer une logique de non-production.

Ces mesures pourraient être expérimentées dans les villes. Premièrement, en raison de leur vulnérabilité : un rationnement aurait pu, lors de la récente crise sanitaire, être mis en place à l’échelle des villes pour éviter les phénomènes d’attroupements et de manques observés dans certains quartiers. Deuxièmement, parce qu’il n’est pas toujours aisé, pour les populations urbaines (et surtout les plus défavorisées), de rejoindre les campagnes et d’initier une reconversion professionnelle — initiatives louables, qui nécessitent de s’articuler à une action plus globalement politique. Pour ces populations, comme pour l’ambition de notre projet démocratique, le modèle urbain ne peut pas être abandonné. Pour ces populations, il serait pertinent de réinventer l’urbanité : « ruraliser » les villes pour les reconnecter aux cycles naturels, repenser les logements en s’appuyant sur les bâtiments déjà existants, permettre aux individus de diversifier leurs activités professionnelles, via la mise en place de revenus spécifiques |20|. Enfin, ces politiques concernent les villes, car on y trouve des richesses certaines, notamment dans ses infrastructures. Les espaces urbains présentent en effet de très nombreux lieux inexploités, pour des durées relativement courtes — le temps que se mette en place, par exemple, un chantier de réhabilitation d’un bâtiment ; ou beaucoup plus longues — comme c’est le cas pour beaucoup de friches industrielles. Ces espaces constituent de véritables communs. Ainsi, la métropole bordelaise présente deux exemples de lieux qui, laissés à l’abandon et réinvestis, ont rencontré des destins contrastés. Une ancienne caserne militaire, composée de 20 000 mètres carrés, a fait l’objet d’une réhabilitation urbaine résiliente : il s’agit du site « Darwin », où se concentrent des activités de loisirs et de tourisme (street art, skate park, bars) et des activités de commerce (épiceries bio, bourse aux vélos, magasin Emmaüs). La cohérence globale du site vient des valeurs qui y sont prônées : solidarité et respect de l’environnement. « Darwin » est très vite devenu un lieu incontournable de Bordeaux, attirant de nombreux touristes et personnalités publiques. Parallèlement, dans le quartier du Cenon, de vastes locaux étaient laissés vacants, les travaux devant en faire une école de musique tardant à débuter. Des militants d’Extinction Rebellion, mouvement écologiste international, ont décidé en 2019 d’occuper les lieux pour en faire la première Maison de l’Écologie et de la Résistance (MER) : la MER était à la fois le lieu d’habitation de ces militants et de migrants, un lieu culturel (organisation de lectures et débats) et un lieu dédié à des activités artisanales (organisation d’ateliers). L’occupation illégale de la MER a donné lieu à l’expulsion de ses habitants en 2020, sept mois avant que ne débutent les travaux.

En définitive, il n’y aura guère de « ville de demain » sans « démocratie de demain ». Les acteurs de la ville (élus, agents des services, aménageurs, citoyens…) multiplient, non sans patience, non sans ambition, les initiatives visant à cultiver une résilience urbaine — se dotant de nombreux outils techniques, parfois difficilement appropriables par les néophytes. Ces efforts, pourtant, ne seront à la hauteur des enjeux écologiques que s’ils sont soutenus par une véritable redéfinition de notre projet démocratique, intégrant un principe de reconnaissance des limites naturelles qui structurent notre organisation politique. En d’autres termes, une approche environnementaliste de la ville, et non écologiste, ne saurait, même en remobilisant des outils politiques contraignants, adapter le fait urbain à la catastrophe écologique globale. Cette réinvention ne peut se limiter à une « participation citoyenne », qui se réduit souvent à une seule consultation, voire à une déclaration de bonnes intentions. Si les citoyens doivent bien évidemment être au cœur de la fabrique de la ville, celle-ci doit être pensée dans un cadre théorique renonçant à l’idée de durée au profit de celle de délai. Les citoyens doivent pouvoir choisir entre plusieurs évolutions urbaines effectivement soutenables. Il en va de l’habitabilité des villes.

|2| Villalba, B., « Au fondement matériel de la démocratie », in Revue Projet, C.E.R.A.S, 2015/1, n° 344, p. 56-63.

|3| Villalba, B., « Au fondement matériel de la démocratie », art. cit.

|4| On pourrait penser ici à l’adage germanique, repris par Max Weber, selon lequel « l’air de la ville rend libre ». Pour ce dernier, la formule ne devait pas caractériser nos capitales modernes, mais désigner un processus — reposant notamment sur l’évolution du droit foncier et du statut juridique des individus — qui mène la ville occidentale médiévale à adopter peu à peu une autonomie politique. Pourtant, l’adage a traversé les siècles, réinvesti d’interprétations différentes.

|5| Szuba, M., Gouverner dans un monde fini : Des limites globales au rationnement individuel, sociologie environnementale du projet britannique de Carte carbone (1996-2010), thèse de doctorat, Université Paris 1, 2014.

|6| Bien évidemment, et comme le rappelle B. Villalba, l’enjeu ici n’est pas de fixer une « date fatidique », mais de reconnaître l’époque dans laquelle nous vivons : marquée par des dérèglements écologiques irréversibles, et dont les effets nous affecteront nécessairement.

|7| Anders, G., L’obsolescence de l’homme. Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, trad. David, C., Paris : Fario, 2011.

|8| Villallba, B., « L’Écologie politique face au délai et à la contraction démocratique », in Écologie & politique, 2010/2, n° 40, p. 95-113.

|10| Villalba, B., « L’Écologie politique face au délai et à la contraction démocratique », art. cit., p. 105.

|11| Jonas, H., Le principe responsabilité : Une éthique pour la civilisation technologique, trad. Greisch, J., Paris : Flammarion, 1995.

|12| Voir à ce sujet l’étude de l’Ademe : https://ile-de-france.ademe.fr/expertises/alimentation-durable (consultée le 16/10/20).

|13| Voir à ce sujet : https://www.20minutes.fr/rennes/2770655-20200501-yves-cochet-coronavirus-peut-etre-declencheur-effondrement-civilisation (consultée le 16/10/20). Par ailleurs, il peut être rappelé que la pandémie tire son origine d’un désastre écologique : la déforestation entraînée par les activités humaines — pour aller plus loin : https://www.franceculture.fr/sciences/didier-sicard-il-est-urgent-denqueter-sur-lorigine-animale-de-lepidemie-de-covid-19

|15| Szuba, M., Gouverner dans un monde fini, op. cit.

|16| Ibid.

|17| Ibid.

|18| Voir à ce sujet : https://www.youtube.com/watch?v=zr-d7AKRB2g&feature=youtu.be (consultée le 16/10/20).

|19| Voir à ce sujet : https://www.socialter.fr/article/communs-negatifs-effondrement (consultée le 16/10/20).

|20| Pour creuser ces pistes, voir le « Rapport biorégion 2050 » de l’Institut Momentum, disponible sur : https://www.institutmomentum.org/bioregion-ile-de-france-2050-lile-de-france-apres-leffondrement/ (consultée le 16/10/20).

Pour citer cet article

Rumin A., « La démocratie locale à l’épreuve d’un monde limité », in Dérivations, numéro 7, mars 2021, pp. 178-183. ISSN : 2466-5983.
URL : https://derivations.be/archives/numero-7/la-democratie-locale-a-l-epreuve-d-un-monde-limite.html

Vous pouvez acheter ce numéro en ligne ou en librairie.

Participer à la discussion

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.