Dérivations

Pour le débat urbain

L’information des voyageurs, toujours en chantier

Comment le petit poucet NextRide a fait bouger les lignes

Il est courant, dans le débat public, d’entendre des commentateurs de tous bords déplorer le manque d’allant des Belges pour l’usage du transport public et la persistance d’un usage massif de l’automobile pour de multiples déplacements qui pourraient fort bien être réalisés en bus. Pourtant, les marges de progression dans la qualité du service offert aux usagers, particulièrement dans le transport local, urbain ou rural, restent énormes. C’est notamment le cas dans le domaine de l’information aux voyageurs, qui, en Wallonie, reste encore balbutiante à ce jour malgré l’avancée des technologies numériques.
Chaque usager du transport public sait à quel point l’attente du bus peut être pénible, quand les horaires deviennent, comme c’est trop souvent le cas, indicatifs, voire décoratifs ou quand les conditions météorologiques sont peu clémentes. Quand on a une correspondance à prendre, un enfant à aller rechercher à l’école ou à la crèche, un rendez-vous à honorer impérativement, le niveau de stress peut monter en flèche. Quotidiennement répétées, ces situations figurent probablement parmi celles qui contribuent le plus à dégrader l’attrait du transport public et poussent des milliers de Wallonnes et de Wallons vers l’achat d’une voiture.
Malgré cela, les gestionnaires du bus wallon ne semblent pas pressés d’améliorer l’information qu’ils proposent à leurs usagers. Le Tec ne dispose d’aucune application pour smartphone et n’est présent que de manière anecdotique sur les réseaux sociaux. L’information présente dans les arrêts est généralement minimaliste quand on la compare avec celle qu’offrent la plupart des réseaux des pays voisins. Pire : tous les bus du Tec sont équipés depuis plusieurs années de puces GPS et communiquent, toutes les cinq secondes, leur position au dispatching – le Tec dispose donc d’une vue en temps réel extrêmement précise sur son réseau –, mais ces données ne sont à ce jour utilisées qu’en interne. Leur « libération » – qui représenterait rien moins qu’un changement d’ère pour beaucoup d’utilisateurs – a été annoncée à plusieurs reprises mais n’est toujours pas effective à l’heure de publier le présent dossier.

L’aventure NextRide

En Wallonie, ce retard pris par le service public a laissé libre le terrain pour une initiative singulière : à l’automne 2011, Thomas Hermine, 21 ans, étudiant en communication à l’Université de Liège et codeur passionné, lance l’application « ProchainBus », qui fait rapidement un carton dans le milieu des étudiants liégeois, lassés d’attendre les bus qu’il leur faut emprunter pour rejoindre le lointain campus du Sart Tilman. Avec l’appui de Margaux De Ré, le jeune développeur importe sauvagement, à la main, les horaires de bus dans son application. Une communauté nait sur les réseaux sociaux, autour de l’application, qui motive le tandem et détermine, à travers des sondages, les priorités dans l’encodage des horaires.
Très réticente dans un premier temps à l’égard de ce nouveau venu qui est entré sans crier gare dans son terrain de jeu, la SRWT va finalement adopter une position plus conciliante. L’arrivée de ProchainBus – entretemps rebaptisé NextRide et devenu une SPRL associant quatre fondateurs – pousse l’opérateur à ouvrir ses données et, après une convention de mise à disposition, les horaires du Tec sont enfin rendus disponibles dans une logique d’Open data. Parallèlement à ces avancées en terres wallonnes, NextRide établit un second partenariat, avec la STIB, la société qui gère le réseau urbain de la Région bruxelloise – un réseau qui compte à lui seul plus d’utilisateurs que l’ensemble des Tec wallons. NextRide peut dès lors offrir à ses utilisateurs une base de données de tous les horaires de bus, tram et métro dans la partie francophone du pays, couplée à un calculateur d’itinéraires.
La petite équipe ne s’arrête cependant pas à cela et intègre quantité de données sur les perturbations observées sur les réseaux qu’elle couvre, depuis l’annulation d’un simple bus à la déviation d’une ligne en passant par des retards qui lui sont signalés par les sociétés de transport, mais aussi par ses propres utilisateurs, qui peuvent « remonter » via l’application les problèmes qu’ils rencontrent. En 2013, des fonctions interactives ont été testées dans l’application : les utilisateurs pouvaient signaler directement des retards au reste de la communauté, un système de vote permettant d’éliminer les informations fantaisistes. Cette fonctionnalité n’a cependant pas été conservée et les retours des utilisateurs sont donc analysés par l’équipe.

La force d’une communauté

En presque cinq ans, plus de 200 000 perturbations ont ainsi été signalées à la communauté d’utilisateurs de NextRide. Selon les statistiques 2016, les chantiers et les accidents sont de loin les premières causes de perturbations du réseau (73 %). Les actions syndicales et les grèves, concentrées en quelques jours, représentent moins de 3 % de l’ensemble. Un jour de grève, ce sont en moyenne 16 000 personnes qui sont informées via NextRide et les réseaux sociaux.
Ce travail de bénédictin, même s’il s’appuie sur une automatisation de plus en plus poussée du traitement des données (data mining), représente l’essentiel du travail de l’équipe : « 80 % du travail, c’est l’uniformisation des données », explique Thomas Hermine. Les serveurs de l’application récupèrent par exemple automatiquement et instantanément tous les tweets émis par la STIB – qui ont l’avantage d’être bien structurés grâce à des hashtags propres à chaque ligne – en extrait l’information pertinente et la diffuse vers les utilisateurs concernés. Les jours de grève, la petite équipe de NextRide se transforme en hub informationnel. Des routines informatiques ont là encore été mises en place pour « mouliner », plusieurs fois par heure, les fichiers Excel dans lesquels les sociétés de transport rendent disponibles l’information sur les services fonctionnels et ceux qui ne le sont pas. Recoupées avec les nombreux retours de ses utilisateurs, ces données permettent à l’application de proposer des informations globalement fiables sur la situation du terrain – informations qui sont aussi répercutées sur les réseaux sociaux et fréquemment reprises dans la presse.
Il n’est donc pas étonnant que NextRide, après cinq années d’existence, soit devenue l’application préférée de bon nombre d’usagers du Tec, en particulier parmi la jeunesse. NextRide est installée sur le téléphone de plus d’un demi-million de Belges et, en Wallonie, 89 % de ces utilisateurs ont moins de 25 ans, un chiffre qui n’est pas sans lien avec la pyramide des âges des usagers du Tec – la situation étant un peu différente à Bruxelles.
NextRide devrait prochainement proposer les horaires de la SNCB en plus de ceux des Tec et de la STIB. Ceux de la société flamande De Lijn pourraient également être intégrés (ils fonctionnent sur le serveur de test) mais il ne s’agit pas d’une priorité pour NextRide, notamment parce que l’application proposée par De Lijn est, de loin, la meilleure de toutes celles que proposent les sociétés de transport en Belgique, mais aussi parce que l’animation d’une communauté d’utilisateurs néerlandophones – potentiellement très nombreuse, de surcroît, au vu des chiffres d’utilisation du transport public dans les villes flamandes – suppose de disposer d’un community management pratiquant couramment la langue de Vondel, ce qui n’est pas encore le cas.

La quête du « temps réel »

Malgré toutes ces avancées, NextRide ne propose pourtant pas encore de données en temps réel en Wallonie, faute de pouvoir accéder aux données des Tec – contrairement à ce qui se pratique désormais dans presque tous les pays d’Europe. Il aurait bien été possible de recomposer partiellement ces données en demandant aux utilisateurs d’autoriser l’application à connaître leur localisation et à la transmettre à son serveur. Cette approche de crowdsourcing n’a cependant pas été retenue jusqu’à présent, en raison de sa complexité technique, de son manque de précision et de l’importante consommation de ressources (notamment en batterie) que cela implique pour les utilisateurs. Pour Thomas Hermine, « ça a peut-être été une erreur de ne pas le faire plus tôt ». Probablement, le recours à cette manoeuvre de contournement, même imparfait, aurait-elle en tout cas incité la SRWT a rendre ses données disponibles plus rapidement. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Vincent Peremans annonce cependant que ces données seront disponibles pour la fin de l’année 2017, d’abord sur smartphone et ensuite sur des panneaux à certains arrêts. Nombreux sont les usagers à espérer que cette promesse sera tenue.
Du côté de NextRide, tout est prêt pour gérer cette nouvelle situation. Le moteur logiciel de l’application, historiquement programmé en Ruby, a été complètement recodé en Node.js, un langage de programmation qui favorise la réactivité de l’application et permet de beaucoup mieux gérer le temps réel. Ce nouveau moteur a été transféré dans une nouvelle structure, plus générique, NextMoov, dont NextRide ne sera que l’un des utilisateurs potentiels. L’objectif de la jeune startup est de fournir, à moyen terme, des données de mobilité en temps réel à divers utilisateurs. Par exemple, une plateforme de Carsharing pourrait exploiter ces données pour adapter en temps réel les réservations de ses utilisateurs dans un contexte de multimodalité.
Ce nouvel outil implémente aussi un module de prédiction des retards, en stockant toutes les données en conditions réelles et en effectuant des calculs de probabilité sur cette immense ressource. NextRide pourrait donc, dans un avenir proche, avertir ses utilisateurs du risque de voir arriver en retard un bus qui n’a pas encore démarré.
Les possibilités ouvertes par l’informatique sont immenses. Elles sont susceptibles d’améliorer significativement l’expérience des utilisateurs du bus. Elles ne remplaceront cependant jamais un réseau de qualité, offrant une fréquence, une desserte ou une amplitude horaire adaptées aux besoins des usagers.

Pour citer cet article

Faja A., « L’information des voyageurs, toujours en chantier », in Dérivations, numéro 4, juin 2017, pp. 138-141. ISSN : 2466-5983.
URL : https://derivations.be/archives/numero-4/l-information-des-voyageurs-toujours-en-chantier.html

Vous pouvez acheter ce numéro en ligne ou en librairie.

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