Dérivations

Pour le débat urbain

À Namur, mobilisation pour le bus 80

À deux kilomètres à l’Ouest du centre de Namur, le petit quartier jambois de Basse-Enhaive longe la Meuse tout faisant face à au Centre Hospitalier Régional. Constitué principalement par la rue Charles Lamquet, elle-même le prolongement de la rue Mazy, il est animé par un comité d’habitants qui y organise diverses activités. Majoritairement gratuites et réalisées en collaboration avec la Maison de quartier, elles ont pour but de rassembler adultes et enfants autour d’événements festifs comme Halloween ou la Saint-Nicolas, mais également d’organiser des brocantes ou de faire participer les habitants à des projets tels que « Je lis dans ma commune ». Mais au mois de janvier 2017, ce petit comité constitué de quatre membres permanents, s’est chargé d’une mission sortant de ses habituelles prérogatives : organiser une consultation citoyenne improvisée autour d’un trajet de ligne d’autobus.
Donatienne Gautier, la présidente du comité de Basse-Enhaive, a tout d’abord entendu des frémissements d’une rumeur concernant un éventuel changement dans le parcours de la ligne de bus Tec n°80 Namur-Jambes (Souvenir), unique bus traversant le quartier et le reliant aux centres de Namur et de Jambes. Les chuchotements des habitants ont été confirmés par un article paru dans les Confluent, magazine namurois, paru les 9 décembre 2016 et 27 janvier 2017, où il est notamment question de divers aménagements de Namur.

Comme l’indique le site web du Tec, la modification du parcours de la ligne 80 prend cadre au sein d’un projet plus global de restructuration de l’axe Jambes / Erpent-Belgrade, en effet prévu afin d’optimaliser le réseau des bus périurbains namurois. Ce projet qui prend lui-même place dans le projet de restructuration de la gare de Namur en une gare multimodale par construction d’une gare des bus par dessus le bâtiment existant. Ces différents aménagements sont le fruit de la politique « NAM’IN MOVE » lancée conjointement par le Tec, la Ville de Namur et la Wallonie dans une volonté de « redynamiser la mobilité à Namur » et qui sera menée jusqu’en 2020.
Si cette politique générale est connue du grand public via notamment des affiches en ville, c’est surtout via le site web que les projets concrets sont consultables. En effet, trois projets sont affichés dans le réaménagement du réseau de bus de Jambes et Erpent, tous deux étant dans le Sud-Ouest de Namur. Tous trois différents dans leur tracé, ils proposent toutefois le même scénario pour la rue Lamquet : le bus 80 n’effectue plus sa boucle habituelle, ne passant plus par la même occasion par la rue Charles Lamquet. Il est plutôt prévu de déplacer sa trajectoire sur la chaussée de Liège, voie parallèle au quartier concerné.

Qu’en est-il de la publicité du projet ?

Selon les informations disponibles sur le site web du projet de mobilité, il est indiqué que ce projet a été annoncé lors d’une conférence le 16 janvier 2017, présentée par Maxime Prévot (Bourgmestre en titre), Patricia Grandchamps (Echevine de la Mobilité) et Simon Collet (Directeur d’exploitation du Tec Namur-Luxembourg) où ils ont « répondu déjà à plusieurs interrogations de la population ». Le site annonce également une volonté claire d’inclure l’avis de ses citoyens dans le choix du scénario et propose deux possibilités à ceux-ci de s’exprimer : soit au moyen d’un questionnaire en ligne ou par téléphone (où il est question de données personnelles, d’usages des différentes lignes du réseau ainsi que de l’avis assez cadré sur les projets présentés) ou soit en participant aux ateliers citoyens, dont les candidatures sont possibles jusqu’au 22 janvier. Trois ateliers sont ainsi prévus les samedis 28 janvier et 18 février en matinée et le mardi 7 mars en soirée. Pour le retardataires aux inscriptions, il est toujours envisageable d’adresser un avis aux participants des ateliers via un lien reprenant leurs coordonnées. Il est également possible de s’exprimer au sein d’infos-bus installés les 23 janvier et 9 février mais également au sein d’une exposition permanente organisée au Pavillon d’aménagement urbain de l’Hôtel de Ville du 17 janvier au 5 février.

Comment cela se fait-il alors que le comité mais également le reste des habitants du quartier n’aient rien vu venir dans les délais impartis ? Il est certes du devoir du citoyen de se tenir informé, mais on peut légitimement questionner la publicité de ce projet au sein des quartiers touchés. La période accordée à l’information ainsi qu’à la participation aux divers moyens d’expressions est inférieure à un mois, ce qui peut sembler peu pour des citoyens qui doivent concilier horaires de travail, vie de famille et éventuels projets extérieurs. De plus, les informations principales se trouvent dans un lieu fixe avec plages horaires pas toujours conciliables avec l’emploi du temps de la plupart des citoyens. Reste bien sur le site web où toute les informations sont disponibles 7j / 7 et 24h / 24, à condition bien sûr d’y avoir accès et de savoir manipuler l’utilisation de cette plateforme. Selon moi, un avis sur la ligne elle-même ou sur les arrêts de bus concernés, de la même manière que l’on publie des avis lors d’une déviation ou d’un changement d’horaire, aurait peut-être davantage éclairé quelques lanternes…

Quoi qu’il en soit, Donatienne Gautier a pris toutefois la peine de faire un porte à porte chez chacun des habitants du quartier afin de les informer de la situation. S’il était déjà trop tard pour s’organiser et s’inscrire aux ateliers de discussion, c’était le dernier délai pour remplir remplir le questionnaire en ligne. Pour finir, elle adresse une lettre aux responsables de ce projet, afin de souligner tous les intérêts et les besoins qu’a le quartier à garder le bus 80.
Basant ses dires sur des chiffres fournis par la ville de Namur elle-même, elle y souligne que le quartier est en effet habité en partie par des personnes précarisées et qui, souvent, ne disposent pas d’un véhicule personnel. Ainsi, le quartier étant composé de 20 % de personnes ayant plus de 65 ans, 25 % de jeunes entre 12 et 25 ans, 10 % de personnes ont des revenus de l’assurance maladie et 3,5 % sont handicapés ou invalides, le bus un élément vital de leur mobilité et leur permet de sortir de leur « isolement », géographique, mais également social et d’accéder aux diverses facilités comme les écoles, les commerces, les médecins, les gares…

Au-delà de l’intérêt du parcours actuel, l’argumentation se focalise également sur le cas où le trajet de la ligne s’effectuerait par la chaussée de Liège. La présidente se demande ce qu’il en sera des accès entre les deux rues, qui sont pour le moment des accès privés, et donc soumis au bon vouloir de leurs propriétaires, ou bien trop escarpés et donc inadaptés pour un accès PMR. De plus, un arrêt de bus sur cette chaussée à circulation plus rapide qu’à la rue Charles Lamquet qui est en zone 30, nécessite des aménagements spécifiques de sécurité (feux, passage pour piétons sécurisés, trottoirs adéquats…) inexistants pour l’instant.

Ce n’est pas la première fois que la problématique de la ligne 80 dans la rue Lamquet est évoquée. Il y a une vingtaine d’années, un comité de quartier aujourd’hui disparu avait milité pour l’installation d’îlots de circulation afin de justement réduire la vitesse de circulation. La question de la conservation du bus avait déjà été posée, celui-ci ayant été gêné dans son passage par des voitures mal stationnées autour des îlots fraichement installés. La solution avait été trouvée au moyen de la mise en place de parkings réglementaires ainsi que d’une répression plus active des infractions. Anne Amram faisait partie de ce comité de quartier et aujourd’hui c’est via son intermédiaire que les besoins réels du quartier ont été portés aux chargés du projet. En effet, cette dernière a contacté Bernard Dubois, coordinateur des comités d’Erpent, située au sud de Namur, touchés eux-aussi par les changements. Ces derniers ont été plus actifs dans le projet depuis décembre, la commune devant faire face à des problèmes de mobilité de manière plus récurrente.

Tous se sont réunis au sein des ateliers citoyens où les besoins des différents quartiers ont été entendus. En plus du débat citoyen, qui se voulait au départ consultatif, certains riverains ont présenté des projets alternatifs aux trois projets existants. Ceux-ci ont été écoutés et davantage encore, le Tec a accepté de les faire analyser par son comité de techniciens. C’est pourquoi la conférence du 20 mars qui devait normalement traiter du projet final a été déplacée en vue de pouvoir organiser un quatrième atelier qui servira de présentation finale, fruit, peut-être, des projets officiels avec les propositions citoyennes. Ce dernier atelier s’est déroulé le 18 avril, et a donné lieu au projet final, rendu public le 2 mai et disponible sur le site de Nam’in Move. Si on peut à nouveau regretter le manque d’exhaustivité du rapport, les organisateurs y décrivent les nouvelles modifications des lignes concernées. Les citoyens ont donc été écoutés, principalement au niveau des fréquences des diverses lignes.

Selon le comité, c’est donc un projet qui a bien évolué et respecte globalement les objectifs visés qui est en route. Afin de prévenir la population, des toutes-boites seront déposés en juin dans les quartiers concernés, des informations complémentaires sur les arrêts voués à disparaître seront affichées en août, parallèlement à trois dates d’Info-Bus. Enfin, une équipe de stewards guidera les usagers en septembre.
Le projet final montre donc que les revendications citoyennes été prises en compte (82 % si on se réfère aux chiffres sur le site). Malgré des débuts plutôt difficiles, un pas a tout de même été fait dans la volonté d’intégrer l’avis du citoyen dans les décisions publiques.

Que retenir de cette expérience au niveau de la participation citoyenne ?

Le manque de publicité évident du projet est à déplorer, car comme déjà souligné, même si les moyens de participations ont été développés, ceux-ci ont été très limités dans le temps et dans l’espace, les organisateurs ne touchant que les citoyens déjà engagés dans des problèmes de mobilité en laissant de côté les non-militants, à savoir une partie importante des usagers directs de ces lignes.

Cependant, les différents ateliers ont montré la possible collaboration entre citoyens et experts, et une réelle écoute des premiers par les derniers des besoins de chaque quartier. Le projet final permettra de savoir si oui ou non les revendications citoyennes ont été prises en compte, mais il n’empêche qu’un pas a tout de même été fait dans la volonté d’intégrer le citoyen dans les projets urbains, un pas certes incomplet mais un pas tout de même.

Pour citer cet article

Lazareva T., « À Namur, mobilisation pour le bus 80 », in Dérivations, numéro 4, juin 2017, pp. 100-102. ISSN : 2466-5983.
URL : https://derivations.be/archives/numero-4/a-namur-mobilisation-pour-le-bus-80.html

Vous pouvez acheter ce numéro en ligne ou en librairie.

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