Dérivations

Pour le débat urbain

Faire de la gare de Milmort un pôle intermodal du futur réseau liégeois

Dans le cadre de la réflexion désormais ouverte sur la réorganisation du réseau de transport public de l’agglomération de Liège , la paisible gare de Milmort, située sur le territoire communal de Herstal, constitue l’un des sites les plus intéressants où l’on puisse envisager l’installation d’un pôle d’intermodalité.

Ce site, apparement excentré, présente de multiples atouts qu’on aurait tort de négliger. Il est situé sur la ligne ferroviaire numéro 34, entre les gares de Herstal et de Liers, soit sur la dorsale principale du futur réseau ferré métropolitain (« REL » ou, désormais, « S »). S’il n’est actuellement desservi « que » par deux trains par heure dans chaque sens, le nombre et la régularité des trains passant par cette gare – ce point d’arrêt non gardé (PANG), si l’on veut utiliser la terminologie officielle – sont donc appelés à croître de façon significative, offrant des connexion potentielles vers les vallées de la Haute-Meuse, de l’Ourthe ou de la Vesdre, notamment.

Il est ensuite situé entre les deux parties principales du parc d’activité économique des Hauts-Sarts, le plus important zoning à l’échelle de l’agglomération et même de la Région wallonne. Près de 10 000 emplois y sont localisés. Pourtant, le point d’arrêt est à peine connu de ces milliers de travailleurs, qui ne l’utilisent guère en raison de l’indigence des connexions entre la gare et les différentes parties du parc d’activité, dont l’étendue considérable et la densité historiquement assez faible (mais le site se densifie petit à petit) n’ont point favorisé le développement du transport public.

Le développement progressif du REL, dans la décennie à venir, et la saturation croissante du réseau routier ne peuvent que renforcer l’attractivité de cette gare et la pertinence de valoriser sa présence – ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent,

Cela passe par une réorganisation du réseau de bus autour de la gare, afin d’un faire un point d’échange entre différents modes de transports – la création d’un parking-relai pouvant utilement compléter l’ensemble.
À ce jour, seule la ligne 173 (Slins-Milmort-Oupeye-Visé) dessert le PANG de Milmort… trois fois par jour dans chaque sens. Guère suffisant, on le suppose, pour permettre aux travailleurs des Hauts-Sarts d’envisager sérieusement les transports en commun comme moyen de locomotion quotidien.

On peut d’ailleurs ajouter que les accotements à proximité de la gare sont des plus rudimentaires et ne disposent pas même de trottoirs pour rejoindre les arrêts des lignes 76 à l’est et 71 et 134 à l’ouest situés, chacun, à 500 mètres de là au mieux . Le vélo – qui pourrait pourtant être très adapté pour rejoindre le zoning depuis la gare – n’est pas beaucoup mieux loti : absence généralisée de parkings pour vélo, manque de pistes cyclables dans un contexte industriel où elles sont indispensables pour séparer les cyclistes des nombreux poids lourds qui fréquent les lieux, etc.

L’accès à la gare de Milmort ne peut donc se faire raisonnablement qu’en voiture, ce qui n’en favorise pas l’usage ni pour les travailleurs des Hauts-Sarts, ni pour les riverains.

La gare de Milmort se présente donc comme un symbole largement représentatif des enjeux à l’œuvre quant à la réorganisation à prévoir des réseaux de transports à Liège. La pertinence de cet outil idéalement placé dépendra d’une intermodalité à créer : bien pensée, elle pourrait devenir un pôle incontournable des réseaux de transport dans le Nord de l’agglomération liégeoise. Dans le cas contraire, elle restera un arrêt anecdotique et un potentiel gâché.

Un potentiel exceptionnel

Les enjeux d’un développement multimodal intelligent autour de la gare de Milmort sont proportionnels au positionnement stratégique de cette dernière et le potentiel d’une telle infrastructure est énorme. Les impératifs à suivre pour la réalisation d’une telle plate-forme sont pourtant assez simples et relativement peu coûteux : la réorganisation systématique des lignes de bus dans le secteur et la mise à niveau de la gare à des standards modernes de confort. Après cette mise à niveau et cette refonte du réseau des Tec, la gare pourrait se voir assigner un rôle majeur tant dans la mobilité des habitants des villages et quartiers voisins que pour celle des travailleurs des Hauts-Sarts.

Nous l’avons vu, la desserte actuelle la gare par les bus est actuellement négligeable. Quelques aménagements mineurs dans la structure locale du réseau pourraient pourtant suffire à changer en profondeur la donne et offrir aux habitants des villages alentours (Hermée, Oupeye, Milmort et Vottem) une véritable solution en matière de transport public en leur offrant un accès rapide au centre-ville de Liège ainsi qu’aux connexions nationales via la gare des Guillemins. Le temps de parcours actuel Milmort-Palais n’étant, en effet, que de 13 minutes.

La centralisation des lignes de bus alentours (5, 7, 24 et 71 principalement) sur la gare permettrait la mise en place de liaisons transversales au réseau en étoile et notamment entre Vottem / Milmort et Oupeye / Hermée. Liaisons quasi impossibles à l’heure actuelle sans devoir transiter par le centre de Liège. Les habitants de la Basse-Meuse pourraient également profiter d’un accès plus rapide à l’Hôpital de la Citadelle si des correspondances entre les lignes 7 et 71 étaient créées .

La création d’un nœud multimodal centré sur le PANG de Milmort permettrait donc de compenser localement le manque de maillage du réseau en ne prolongeant les lignes existantes que de manière marginale, et donc sans impact majeur sur le coût du réseau. Une bonne desserte train et bus avec des correspondances assurées pourrait donc faire exister une desserte rapide des habitants de la Basse-Meuse, avec un accès à la gare des Guillemins à une vingtaine de minutes.
Au delà des riverains, la zone des Hauts-Sarts est, nous l’avons dit, le bassin d’emploi le plus important de l’agglomération liégeoise. Or, sa desserte en bus est pour l’instant fort peu lisible et fort peu présente . Dynamiser le pôle de Milmort pourrait donc avoir pour effet de permettre la création de lignes de desserte spécifique du zoning, afin de favoriser l’accès en transport en commun à celui-ci. Cela amènerait une bien plus grande flexibilité pour les personnes dont les horaires de travail sont atypiques ainsi que la possibilité de rejoindre le zoning depuis plusieurs communes ou quartiers avoisinants, tout en permettant, via le REL, une desserte efficace depuis des origines plus lointaines de l’agglomération (Liège, bien sûr, mais aussi Seraing avec la future ligne 125A et la vallée de la Vesdre avec la ligne 37.)

Repenser les bus autour de Milmort

L’enjeu majeur de la transformation de la gare de Milmort en pôle de mobilité réside donc dans la refonte partielle des lignes de bus actuelles. Si l’on observe la carte de desserte, on s’aperçoit que de nombreuses lignes à fréquence moyenne ou élevée (plusieurs passages par heure) passent à proximité de la gare de Milmort, sans toutefois ni la desservir directement, pas plus que le Parc des Hauts-Sarts (à l’exception de la ligne 76 pour la première zone uniquement).

En outre, les lignes 7 et 24 passent également à proximité, à Hermée au nord-est pour la ligne 7 et pour Vottem pour la ligne 24. Ces deux lignes pourraient également voir leur tracé intégrer une desserte directe de Milmort.
Le premier chantier serait donc d’assurer un passage jusqu’à Milmort pour plusieurs de ces 6 lignes. Le détour est assez court pour les lignes 71, 76 et 134 pour être effectué sans changement majeur dans l’organisation des Tec. En revanche, pour les lignes 5, 7 et 24, la modification du tracé est plus consistante.

Enfin, il pourrait être opportun d’envisager la création d’une ligne locale assurant une desserte en boucle du parc des Hauts-Sarts. Près de 10 000 personnes travaillant sur la zone, nul doute qu’une offre efficace des Tec aurait tôt fait d’apporter une véritable plus-value sociale et donc de trouver rapidement sa demande. Le tracé proposé ci-après fait une double boucle et l’itinéraire gare – boucle zone 1 – gare – boucle zone 3 – gare fait une vingtaine de kilomètres, soit un trajet total d’une heure environ à vitesse commerciale moyenne , qui pourrait être soit divisée en deux lignes (Ligne Zone 1 et Ligne zone 3) soit être gardée en tant que telle, en fonction de la demande effective et de l’efficacité.

La création d’une seule ligne de bus et un aménagement mineur de l’existant peut donc largement contribuer à faire d’une intermodalité difficile voire inexistante un nœud capable d’accueillir le transit tout à la fois d’une population pour l’instant largement marginalisée sur le plan des transports publics (habitants d’Hermée et de Milmort, mais aussi d’Oupeye, de Slins, de Glons etc…) et celle du plus gros bassin d’emploi de la région.
D’autres aménagements mineurs mais primordiaux sont à prévoir
La situation géographique du PANG, par sa proximité avec le ring Nord et l’E313 en font par ailleurs une candidate parfaite pour la création d’un parking-relais (P+R). C’est d’ailleurs une option qui semble être sérieusement envisagée par les gestionnaires du REL. Etant situé sur une zone peu densément bâtie, de nombreux terrains à proximité immédiate de la gare pourraient en effet être éligibles pour la création d’une telle infrastructure, assez simple à mettre en place moyennant des travaux de terrassement. Ce parking de desserte des Hauts-Sarts pourrait donc faire de la gare de Milmort une véritable « porte d’entrée » Nord dans Liège pour les habitants la Basse-Meuse et des environs.

Prendre en compte la nécessité de la mis en place de parkings-relais semble assez indispensable dans une réflexion sur la réorganisation des transports, dans la mesure où la problématique du stationnement dans Liège est déjà fort présente et que l’arrivée du tram risque d’engorger encore un peu plus le centre-ville. La création de P+R en périphérie a pour vocation, justement, de désengorger le centre d’une partie de sa circulation automobile et de là, de la pression sur le stationnement en captant une partie du trafic de transit.
Ces P+R peuvent prendre plusieurs formes, mais généralement leur usage est le suivant : création d’un parking surveillé dont le coût comprend un voyage aller et retour sur le réseau de transport. 

Un autre aménagement simple à même d’apporter des solutions crédibles en matière d’intermodalité serait de mettre en place sur cette gare un « Point Vélo ». A l’heure d’aujourd’hui, la SNCB semble consacrer cet effort sur les grosses villes, essentiellement pour des raisons logistiques (la surveillance est en général confiée à une association en échange d’un subside ou de locaux, c’est notamment le cas à Liège), il paraît intéressant d’offrir ce service aux travailleurs des Hauts-Sarts.

Concrètement, cela pourra être couplé directement avec le projet de P+R voire rentrer dans le cadre de celui-ci : la surveillance du parking pourrait être couplé avec la surveillance du parking vélo. Il existe également des solutions de mise sous clés de vélos, soit sur le modèle mis en place à Lyon, Paris ou Bruxelles (à savoir un partenariat avec une entreprise privée et un système de bornes magnétiques et d’activation du verrou avec un abonnement ou après paiement à un terminal en libre-service), soit selon un modèle plus en adéquation avec l’offre actuelle des « blue bike » de la SNCB, avec un « véloparc » grillagé dont l’ouverture s’effectue avec une carte d’abonnement ou manuellement par un gardien (cela peut être, par exemple, une ouverture à distance gérée par le gestionnaire du P+R).
Ce service permettrait de compenser d’éventuelles faiblesses de la desserte de la zone économique par les bus réorganisés. Faiblesse propre à la nature monofonctionnelle et la superficie importante du zoning. Ce service pourrait, par ailleurs, être pris en charge par d’autres acteurs que la SNCB : à savoir la SPI+, gestionnaire du parc d’activités, les entreprises elles-mêmes, voire même une cogestion par ces deux derniers. Cette mise à disposition de vélos irait d’ailleurs largement dans le sens du projet Rail-Bus-Vélo développé par la SPI+ ces dernières années.

Enfin, dernier aménagement mineur mais fondamental pour la réussite d’une telle plate-forme intermodale : la modernisation des quais et des abris, effort qui devra être consenti par la SNCB et à même de coïncider avec les objectifs du REL.

Faire de Milmort un exemple

La création d’un pôle multimodal à Milmort présente de nombreux avantages tant pour la mobilité locale (desserte des quartiers et villages alentours et du parc des Hauts-Sarts) que pour l’agglomération liégeoise à un plus vaste niveau (par le P+R et par la réflexion d’ensemble sur la coordination des réseaux de transports). Le pôle multimodal à pour enjeu de créer un réseau de mobilités cohérent et de faciliter largement les transitions d’un véhicule à l’autre (automobile, train, bus, vélo…) à la fois en raccourcissant les temps de trajet grâce à une optimisation des correspondances qu’en repensant la totalité des moyens de transport comme un ensemble cohérent, avec un surcoût d’exploitation très faible pour les opérateurs.

La réflexion proposée ici concerne bien entendu spécifiquement la Basse-Meuse et la gare de Milmort, mais le raisonnement développé ici peut, mutatis mutandis, être reproduit sur d’autres points du réseau.
L’arrivée prochaine du tramway et, peut-être, de la transurbaine, ainsi que le développement du REL doivent permettre une refonte complète des réseaux de bus en gommant certains défauts d’un réseau figé depuis beaucoup trop longtemps et qui continue à privilégier les relations centre-périphérie au détriment des quartiers périphériques et de la desserte inter-quartiers.
Nous en sommes convaincus : un tracé de réseau plus cohérent est synonyme d’une utilisation accrue de celui-ci et de l’amorce d’un cercle vertueux de transition modale, dans laquelle le nombre croissant d’usagers justifiera les investissements consentis et où les investissements alimenteront la qualité du réseau, faisant croître ensuite le nombre de ses usagers.

Pour citer cet article

Capuccio G., « Faire de la gare de Milmort un pôle intermodal du futur réseau liégeois », in Dérivations, numéro 4, juin 2017, pp. 120-124. ISSN : 2466-5983.
URL : https://derivations.be/archives/numero-4/faire-de-la-gare-de-milmort-un-pole-intermodal-du-futur-reseau-liegeois.html

Vous pouvez acheter ce numéro en ligne ou en librairie.

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