Dérivations

Pour le débat urbain

Un parc à Sainte-Marguerite

Dans mon quartier, les épiciers arabes t’appellent « mon ami », te demandent tous les jours comment tu vas, te mettent toujours une tomate de plus — « cadeau » —, ne te font jamais payer les vingt centimes annoncés pour le bancontact. Dans mon quartier, les nuits africaines sont longues, les boubous resplendissent et les souliers brillent. Dans mon quartier, il reste encore quelques Italiens qui s’accrochent à leur enseigne. Dans mon quartier il y a une église toute moderne et une mosquée très fréquentée. Dans mon quartier coule la Légia, mais la sournoise ne se montre pas. Dans mon quartier, même les toxicos et les pochtrons à Carapils sont sympas. Dans mon quartier, la marmaille galope partout, à pied, à vélo, derrière son ballon, derrière les filles.

Mais dans mon quartier, il n’y avait pas de parc. À Sainte- Marguerite, il n’y avait que le nom qui sentait la fleur. Pour mes blondinettes : deux bancs et un toboggan au coin de Hocheporte et d’Agimont. À peine mieux que rien. Sinon : vas-y, cours à Cointe, descends au Botanique. Ou file à Naimette, c’est plus près, mais il y a la voie rapide à traverser.

Alors quand ils ont ouvert le parc Sainte-Agathe, tu penses, je suis allé voir. Tant d’années que l’échevin, celui-là ou un autre, on ne sait même plus, s’y était rengorgé de vertes promesses. C’est que ça met du temps à pousser, un parc. Et que les blondinettes poussent aussi, pendant ce temps-là. Mais ouf : pile à temps. Elles peuvent encore crier de joie sur le long toboggan, elles peuvent s’époumoner dans les allées en (solide) pente qui créent une circulation verte entre la rue Hullos et la rue Saint-Laurent. Elles peuvent se rafraîchir aux fontaines d’eau potable et même y boire parce que, oui, c’est ça que ça veut dire, « potable », blondinette. Elles peuvent carrément aller mettre les mains dans la terre du potager collectif : la gentille dame qui s’y affairait la dernière fois le leur a proposé.

Et moi ? Moi, je peux laisser mon livre me glisser des mains et somnoler sur mon banc, bercé par la douce musique de la langue arabe et des cris d’enfants.

Ça valait la peine d’attendre, en fait.

Pour citer cet article

Morel P., « Un parc à Sainte-Marguerite », in Dérivations, numéro 1, septembre 2015, pp. 7-8. ISSN : 2466-5983.
URL : https://derivations.be/archives/numero-1/un_parc_a_sainte_marguerite.html

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