Introduction
La place Cockerill et le Quai-sur-Meuse jouent un rôle particulier dans le cœur urbain de Liège. Le vaste espace public qu’ils constituent est formellement assez ingrat, longé par une voie rapide et coupé du fleuve par elle, saturé par le bruit, peu et mal aménagé, envahi par un immuable stationnement, qui n’est que vaguement régulé. Mais cet espace est aussi l’un des plus centraux de la ville, bordé par l’université et par quelques commerces dynamiques voire emblématiques, un carrefour entre le quartier des Carmes, celui de la Cathédrale, Souverain-Pont et Outremeuse, entre le théâtre, la bibliothèque, l’université,...
Les étudiants s’y retrouvent pour boire un verre à l’une de ses terrasses en dépit des gaz d’échappement. Liégeois et touristes viennent y manger le traditionnel boulet. Et, à toute heure du jour et de la nuit, les piétons et cyclistes y sont nombreux, attirés notamment par cette bonne vieille passerelle qui est leur voie d’accès privilégiée à la rive droite.
Cette densité d’usages contribue sans doute à expliquer les réactions vives et nombreuses — près de 3000 réclamants en juin dernier dans le cadre d’une enquête publique qui n’a duré que 15 jours — qui se sont fait entendre face à un projet visant à construire un parking de 5 niveaux sous la place — le premier qu’il est envisagé de construire sous l’espace public à Liège depuis l’aménagement de la place Saint-Lambert, dans les années ’90. Commerçants, universitaires, cyclistes, habitants, associations,... ont réagi à l’unisson, dénonçant un projet d’un autre temps, soulignant « le caractère factice et contre-productif d’une proposition qui renforcera, plutôt qu’elle ne résoudra, les problèmes liés à la circulation automobile au cœur de la Cité ; l’insuffisance criante des aménagements prévus en faveur des piétons, des cyclistes et des personnes à mobilité réduite ; l’absence d’une réflexion urbanistique convaincante à propos de l’articulation entre rive gauche et rive droite de la Meuse ; la pauvreté de l’expertise environnementale ; la soumission de l’autorité communale aux impératifs d’investissement et de rentabilité du secteur privé ; l’absence de concertation et, pour un projet d’une telle incidence collective, le choix de ne pas ouvrir un concours d’architecture » |1|.
Face à ce soulèvement, le Collège communal a promis de revoir sa copie |2|, mais les opposants, ligués au sein de la « Plateforme Place Cockerill » restent sceptiques sur l’ampleur du revirement annoncé. Quoi qu’il en soit, les questions soulevées par ce débat, ne serait-ce que par l’ampleur même que celui-ci a pris, méritent que l’on s’y arrête. C’est l’ambition du présent dossier.
Celui-ci s’ouvre sur une synthèse, rédigée collectivement par notre rédaction, qui présente le projet de parking et d’aménagement de la place Cockerill. Il examine les enjeux de ce projet.
Hélène Van Ngoc nous livre ensuite la compilation d’une large collecte de données qu’elle a menée sur le paysage du parking à l’échelle de la ville. Sur cette base, elle esquisse quelques pistes pour l’avenir de ce secteur économique et des politiques publiques menées en la matière.
Dans un entretien qu’il nous accorde, l’architecte et urbaniste Gil Honoré revient sur la mission d’étude qu’il a menée pour le compte de la Ville de Liège entre 2005 et 2010 sur un possible aménagement de la place.
Le militant urbain bruxellois Gwenaël Breës revient pour sa part sur le débat très intense qui a eu lieu, dans la capitale, autour du projet de piétonnisation du centre-ville. Il raconte en particulier le combat — victorieux — mené par la Plateforme Marolles contre un projet de parking sous la place du Jeu de Balle.
Marie Schippers retrace l’histoire des multiples vies de la passerelle Régence, passerelle Saucy et en fait « passerelle tout court », chère à Simenon, lien vital depuis plus d’un siècle entre Outremeuse et la rive gauche.
Revenant à l’actualité, Laure Terwagne propose un compte-rendu personnel et subjectif de la séance de concertation qui s’est déroulée le 17 juin 2015, dans le cadre de l’enquête publique sur le parking. Elle y met en évidence les limites des procédures « participatives » qui organisent à ce jour le dialogue entre l’autorité publique et les citoyens.
Toujours attentif aux évolutions de la technique, Antoine Faja s’interroge sur les conséquences de l’arrivée, imminente, des voitures sans conducteurs sur le marché du parking : n’est-il pas possible d’imaginer des villes sans parkings, dans lesquelles un système de voitures autonomes partagées remplacerait l’actuelle voiture individuelle ?
Les projets du promoteur Pierre Berryer pour l’emblématique bâtiment de la Grand-Poste ont été l’un des principaux moteurs du projet de parking. Pierre Morel, qui fait ici un retour attendu à la plume, revient sur ce dossier et sur les hypothèses de développement du site. Qu’en est-il aujourd’hui ? Ces projets sont-ils toujours d’actualité ?
L’ingénieur Pierre Arnould, qui a multiplié, ces dernières années, les interventions dans le débat urbanistique liégeois, défend quant à lui la pertinence d’un parking sous la place, mais il plaide pour une intégration urbanistique très différente de celle qui est proposée, en prise avec un tunnel sous le quai, tout en ouvrant quelques pistes pour l’avenir du site.
Dans le centre de Maastricht, un très important projet d’aménagement a été réalisé, il y a une dizaine d’année : le Mosae forum, qui intègre un espace commercial et des bureaux surmontant un grand parking souterrain branché directement sur un tunnel situé sous les quais de Meuse. Le parallèle semble évident avec le projet de la place Cockerill. Liesbeth de Jong tente une comparaison entre les deux contextes et dresse un bilan du projet de Maastricht.
Le dossier se clôture sur un texte rédigé par l’asbl urbAgora, qui tente de contextualiser les débats entourant le parking en partant de cette question simple et pourtant subversive dans une ville où la part modale de l’automobile est l’une des plus élevées sur le continent : et si les voitures ne traversaient plus le centre-ville ?
Enfin, l’ensemble de ces pages est rythmé et illustré par le travail photographique de Marino Carnevale, membre du collectif « la kabane », qui a arpenté les lieux pour notre revue et nous livre des vues habitées de la place et de ses abords.
Signalons encore que l’auteur du projet de parking a été sollicité pour livrer son point de vue dans le présent dossier. Il a décliné cette proposition. Le Collège communal de la Ville de Liège n’a quant à lui pas donné suite à l’invitation que nous lui avons adressée à s’exprimer dans ces pages.
Retrouvez l’intégralité de ce dossier dans le premier numéro de la revue, en vente en librairie.
|1| Carte blanche signée par Danielle Bajomée, Jean-Pierre Bertrand, Laurence Bouquiaux, Luciano Curreri, Michel Delville, Laurent Demoulin, Vinciane Despret, Maria-Giulia Dondero, Jacques Dubois, Pascal Durand, Maud Hagelstein, Carl Havelange, Jeremy Hamers, Nadine Henrard, Jean-Marie Klinkenberg, Thomas Morard, François Provenzano, Lucienne Strivay et Dick Tomasovic, chercheurs et enseignants, tous usagers quotidiens du site universitaire du XX Août, juin 2015.
|2| La Meuse du 3 juillet
Pour citer cet article
« Introduction », in Dérivations, numéro 1, septembre 2015, pp. 12-13. ISSN : 2466-5983.URL : https://derivations.be/archives/numero-1/place_cockerill.html
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