Dérivations

Pour le débat urbain

Mutations du logement étudiant

Oubliée la maison traditionnelle liégeoise transformée en kots ? Depuis quelques années, les promoteurs privés — face à la demande croissante en logements étudiants — développent, à Liège, une série de projets de résidences-services qui leurs sont destinées. L’émergence de la population étudiante, depuis les années ’80, constitue un nouvel objectif pour les villes actuelles et il apparait dès lors essentiel pour elles de répondre aux besoins et aux attentes des étudiants et ce, y compris en matière de logement.

Si le logement étudiant a souvent été étudié comme faisant partie intégrante du « Campus » à l’américaine, il s’avère que les choses ont bien changé. D’autant plus qu’il apparait difficile de définir le Sart Tilman comme un campus, lieu d’étude et de vie au cœur duquel se développe une vie estudiantine. Liège, c’est presque 40 000 étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur dont 22 000 à l’université. C’est aussi plus de 8 500 « kotteurs », mais c’est seulement une seule résidence universitaire de 360 places appartenant à l’ULg. Où sont donc les initiatives publiques ?

S’il est important de mieux comprendre la population étudiante et ses besoins, il va surtout falloir l’intégrer dans le développement urbain de Liège, au cœur d’une ville où le foncier est peu disponible et dans laquelle l’étudiant est susceptible de dynamiser certains quartiers.

La population étudiante

« La jeunesse n’est pas qu’un mot. (…) Les jeunes existent : on peut les rencontrer ! »
_Pierre Bourdieu.

Pour mieux saisir la problématique du logement étudiant, plongeons-nous dans un premier temps sur les raisons qui ont fait de ces dernières années le théâtre d’un changement considérable du statut de l’étudiant. Une situation qui pourrait se définir à l’heure actuelle en trois mots : démocratisation, diversification et internationalisation.

Le nouveau paysage universitaire tel qu’il se dessine depuis le début des années ’80, se caractérise par une augmentation exponentielle du nombre d’étudiants. Ce phénomène s’explique non seulement par une accessibilité de plus en plus grande engendrée par la démocratisation de l’enseignement mais aussi par la diversification des formations et l’internationalisation des parcours possibles.

Aujourd’hui, l’offre dans l’enseignement supérieur a complètement explosé. Ce phénomène est en partie dû à une spécification de plus en plus recherchée dans le domaine de l’emploi face à la crise qui pèse en partie sur la jeunesse. Il est de plus en plus difficile actuellement de trouver des solutions. Les jeunes se lancent donc dans ce que l’étude du Laboratoire de Recherche en Sciences Humaines et Sociales français, le LARES, appelle des « carrières universitaires » |1|. Ces formations prolongées ont comme conséquence d’allonger considérablement le nombre d’année d’étude. L’âge et la situation familiale des étudiants étant des facteurs qui évoluent de manière très variable, ils engendrent des besoins différents en matière de logement.

Au départ concentrées dans des villes universitaires historiques, les populations étudiantes constituent désormais un enjeu concurrentiel majeur pour les villes qui les accueillent. La plupart des métropoles ont compris aujourd’hui l’importance de ces populations étudiantes et leur apport au développement de leur ville. Pour cela elles n’hésitent pas à « draguer les étudiants », avec la mise en place d’un « marketing urbain » |2|. Autour d’elles se développent de vraies stratégies de communication visant à attirer les étudiants dans le but de renforcer la dynamique urbaine et d’en faire les habitants de demain.

La dynamique des villes étudiantes

Si certaines villes ailleurs en Europe ont saisi depuis bien longtemps les enjeux, la Wallonie peine à réagir et prend d’ailleurs du retard par rapport à des villes comme Anvers, Gand ou même Bruxelles qui vient de réaliser une étude sur les conditions de vie étudiante et les enjeux à venir via son Agence de Développement Territorial (ADT). Les étudiants n’étant perçus que comme des habitants temporaires, sans attache réelle, les pouvoirs politiques hésitent souvent à investir durablement pour eux.

Pourtant, il existe des enjeux majeurs pour une meilleure relation entre la ville et l’étudiant. Car, même si elle reste temporaire, cette relation permet de tisser des liens qui profitent à chacun.

Tout d’abord, nonobstant le fait que la plupart des étudiants n’acquittent pas de taxes résidentielles, leur présence dans la ville aura un impact considérable sur la vie commerçante, le réseau de transport, les infrastructures sportives, culturelles,… Une étude réalisée en 2011 par la Fédération des étudiants de Bruxelles-Wallonie |3| portant sur plus de 5 000 étudiants et reprenant l’ensemble des dépenses effectuées par un étudiant sur une année scolaire chiffre son budget annuel à 9 046 € dont 47 % sont consacrés au loyer, le reste s’orientant surtout sur l’alimentation, les dépenses personnelles et les loisirs. Si on regroupe ces montants, on constate que 77 % du budget des étudiants est directement réinjecté dans l’économie locale.

Ensuite, l’étudiant développera un « réseau de contacts » qui le suivra à travers les différentes étapes de sa vie. Cette population côtoyée pendant les études est composée de façon hétérogène et va permettre de créer des associations parfois inattendues afin de développer des initiatives nouvelles et prometteuses, à la fois pour l’étudiant mais aussi pour la ville qui pourrait en être le berceau.

En une phrase, l’enjeu majeur est le suivant : l’étudiant d’aujourd’hui est l’habitant de demain. Par conséquent, l’amélioration des conditions de vie étudiante est non seulement une nécessité, mais aussi une chance pour les villes de créer de véritables politiques d’intégration économique et sociale qui mettront en place les générations de demain. On pourrait dès lors se demander quelles mesures politiques prendre pour fidéliser l’étudiant à la ville et le guider vers le statut d’habitant.

La situation liégeoise

Selon une étude réalisée sur l’inadéquation entre l’offre et la demande de kots dans les principales villes estudiantines wallonnes |4|, la Ville compte, grâce à ses 25 implantations scolaires, le nombre de 38 168 étudiants (chiffres de 2011) dont 56,3 % sont étudiants inscrits à l’Université de Liège en 2011 dont 8 567 étudiants seraient référencés comme « kotteurs ».

Liège fait partie des seules villes étudiantes en Belgique où le marché du logement étudiant tend à s’équilibrer en comblant la demande maximale pour 8 567 étudiants grâce aux 8 391 logements disponibles, tout en évaluant à 3 382 biens, l’offre supplémentaire disponible théorique pour diminuer la pression du marché.

Il apparait néanmoins que la diversité des biens offerts est parfois source de questionnement sur la juste utilisation du parc immobilier liégeois. Si l’étude référence environ 2 700 chambres et 1 500 studios consacrés aux étudiants, beaucoup d’appartements et de maisons unifamiliales sont occupées des étudiants.

Même si cette diversité du marché paraît répondre à la demande, elle doit cependant nous interpeller sur les vrais enjeux d’une telle diversification. Il apparait important qu’une partie du marché locatif global soit accessible aux étudiants, mais dans de telles proportions, cela crée une concurrence avec d’autres habitants potentiels à la recherche d’un logement en ville.

Au moment de l’étude précitée de l’Université de Liège en 2011, seuls 338 logements en résidence publique étaient disponibles, dont plus d’une centaine consacrés aux Erasmus, ainsi que 165 places en résidences privées. Or si on évalue l’offre étudiante en supprimant les biens utilisables par des familles reconvertis en kot, on atteint le nombre total de 6 568 logements. Un chiffre bien insuffisant par rapport à la demande réelle de 8 567 kotteurs, surtout si on en retire les biens autorisés mais inadaptés aux conditions de vie étudiantes.

Le critère de qualité est très rarement pris en compte dans les études sur le logement étudiant. Difficilement quantifiable, il est pourtant essentiel à la compréhension des enjeux. Un sondage personnel réalisé auprès de 436 étudiants kotteurs révèle qu’environ 20 % des kots n’offrent pas des conditions de vie décentes, telles qu’une bonne isolation thermique et acoustique, l’accès à l’eau chaude, l’accès à des sanitaires en bon état, un chauffage qui fonctionne, un espace dépourvu d’humidité,… Toutes des situations qui poussent à croire que si un contrôle qualité était appliqué, les statistiques de logements disponibles auraient tendance à fortement chuter.

Ces dernières années, le nombre de places en résidence privées a considérablement augmenté pour atteindre 494 logements en septembre 2015 grâce à des projets réalisés comme le Student Hotel (146) , le Meuse Campus (235) et le Chick&Kot (20) ou encore des projets encore en travaux pendant l’étude comme le Student Station (56) ou l’Upside (18),…

Suite à une étude comparative basée sur le prix des trois résidences existantes |5| comportant 401 logements, le prix moyen pour un loyer est de 607 € pour une place en résidence privée. Or peut-on réellement dire qu’un tel loyer pour un espace de moins de 25 m² garantit une offre satisfaisante en matière de logement étudiant pour une ville dite « estudiantine » ?

Si quelques pistes ont déjà mené à des projets de construction de résidence étudiante au Sart Tilman, aucune n’a vu le jour depuis 1967, date de construction des homes du Sart Tilman conçus par l’architecte André Jacqmain, constat inquiétant quand on connait le nombre de facultés présentes sur le site.

Les 360 logements disponibles dans les homes apparaissent bien seuls face au développement des résidences privées dans le centre de Liège. L’ensemble des projets a été rassemblé sur une carte redessinée de Liège pour avoir un aperçu du développement géographique des résidences construites, en cours ou en suspens (p. 53). Les chiffres indiqués correspondent au nombre de chambres disponibles.

Les homes étudiants du Sart Tilman, la seule alternative au privé

Conçus par l’architecte André Jacqmain et construits fin des années ’60 — à la demande de l’Ulg — en même temps que la résidence Lucien Brull, les 360 chambres disponibles représentent la trace historique d’un besoin en logement exprimé lors de la montée de l’université au Sart Tilman. Avec des loyers situés entre 200 et 300 euros, les Homes offrent des logements accessibles à une tranche de population aux revenus plus modestes souvent oubliée des promoteurs privés.

Une des forces du projet réside dans la configuration de ce bâtiment composé sous la forme d’une « ruche » |6|, assemblée de 3 alvéoles autour d’un espace central dont les circulations permettent un passage progressif de l’espace public au communautaire pour arriver au cocon individuel. Ce projet, me semble-t-il, s’impose là comme une véritable réussite architecturale.

En voici une sommaire description afin de se faire une idée de ce qui, toujours à l’heure actuelle, constitue la seule offre publique de logement à Liège.

L’espace central, l’articulation : le rez-de-chaussée est accessible via une seule et unique entrée dans laquelle on retrouve un comptoir d’accueil afin de gérer au mieux les allées et venues du bâtiment. Dans cet espace on retrouve des espaces communs tels que cafétéria et salle d’étude servant à créer une vraie vie de résidence et de rencontres entre les étudiants de chaque tour.

Via des couloirs émergeant de l’espace central, chaque tour est desservie en son centre. Renforcée par un grand vitrail au-dessus de l’entrée, l’arrivée au coeur des tours à des allures de cathédrale reflétant les possibilités du béton dans les années ’60. L’architecte crée un grand atrium face à la cage d’escalier ouverte qui alimente les niveaux communs.

Les logements se répartissent par quatre groupes de huit unités d’habitation composés symétriquement dans une forme de trèfle. Pour se distinguer de l’espace central, les trois unités de logements sont composées comme des tours verticales dont le cœur offre des espaces communs à chaque étage. En effet, depuis la cage d’escalier, on accède à deux cuisines communes assez rudimentaires, mais essentielles à la vie de tous les jours.

La vie en communauté, le retour au groupe : malgré un programme prévu pour 360 logements, on aura vite compris que l’architecte a joué subtilement pour offrir différents niveaux de partage permettant de retrouver des échelles beaucoup plus intimes en fonction des usages. Passer du palier à son appartement de huit logements, terme employé par l’architecte pour désigner ces ensembles, signifie déjà une entrée dans une partie plus privée dans laquelle on retrouve les toilettes communes aux huit occupants. On y retrouve aussi un espace nommé « parloir » par l’architecte, jolie façon d’appréhender un espace de partage majoritairement utilisé comme salle à manger commune dans laquelle on peut retrouver ses colocataires proches et nouer des contacts.

Au vu de la configuration du projet, les étudiants disposent de chambres différentes malgré la grande symétrie de la composition architecturale. Certes, il n’y a, au fond, que quatre types de chambres pour l’ensemble du projet, mais chacun dispose de sa vue, de sa couleur de porte, de son aménagement personnel. Une flexibilité au service de l’usager qui offre, malgré l’ancienneté, un espace de qualité aux étudiants à des prix démocratiques.

L’avenir du logement étudiant à Liège ?

Tous ces projets de résidences étudiantes montrent la différence entre la vision du privé et les décisions universitaires qui n’ont jamais vraiment choisi une ligne de conduite claire par rapport au Sart Tilman et à la création de logement étudiant. La place de l’étudiant est dans la ville et son rôle prédominant dans le développement, tant culturel qu’économique, voire international, en fait un sujet de questionnement important à l’heure actuelle.

Si Liège veut implanter du logement au Sart Tilman, il faudra que les pouvoirs publics investissent non seulement dans des projets de construction, mais aussi dans le développement d’infrastructures permettant une vie extra-scolaire telles qu’un plan de mobilité renforcé ainsi que des espaces consacrés à la vie estudiantine,… Car si on constate que les promoteurs sont prêts à investir massivement dans le logement étudiant, le Sart Tilman manque d’attractivité et nécessite un travail en profondeur pour que chacun y trouve son compte.

De plus, si on ne peut que se féliciter des initiatives du privé pour reconvertir ou construire des bâtiments à vocation résidentielle estudiantine dans le centre-ville, il n’en ressort pas moins que ces logements ne s’adressent qu’à une partie du marché étudiant, oubliant parfois l’essentiel au profit du « haut de gamme » et du retour sur investissement.

La seule solution pour garantir à tous l’accès au logement réside en la construction d’une offre de résidences publiques, telle que la première résidence sociale crée par la société de logements sociaux « Notre Maison » à Louvain-La-Neuve. Un bâtiment de 49 kots, pour lequel des critères d’attribution sociaux ont été mis en place et avec un loyer, accessible, de 250 € hors charges. La preuve qu’il est possible aujourd’hui, tout comme en 1967 avec les homes étudiants du Sart Tilman, de créer des logements de qualité répondant aux impératifs sociaux rencontrés. Si certains étudiants privilégieront des kots de plus en plus équipés, d’autres ne demandent qu’un logement salubre et décent.

Pour conclure, l’urgence s’impose ! Avant l’augmentation des prix du marché du logement étudiant engendrée par toutes les nouvelles constructions de résidences privées, le temps n’est-il pas venu pour que les pouvoirs publics s’associent aux promoteurs privés afin de réaliser ensemble des projets accessibles financièrement et répondant aux besoins actuels ?

|1| L.A.R.E.S, Droniou Gilles, Pecqueur Christophe, Moreau Christophe, Etudier et habiter : sociologie du logement étudiant, Rapport final, Etude réalisée pour le Ministère du Logement et de la Ville, Avril 2009, France.

|2| Un terme repris dans l’article « Palmarès 2014-2015 des villes étudiantes : leurs recettes pour vous draguer », paru dans le journal numérique de l’Etudiant.fr, et défini comme « Une expression utilisée pour nommer les techniques de promotion destinées à attirer populations et capitaux. »

|3| Fédération des Etudiants Francophones, Coût des études et qualité de l’enseignement supérieur, Dossier de Presse, 2011.

|4| CRef (2010), ETNIC (2011) & établissements scolaires (2011) cité dans Université de Liège, Recherche sur l’(in)adéquation entre l’offre et la demande de kots dans les principales villes estudiantines wallonnes, Rapport final 2011.

|5| En 2015.

|6| Terme employé par André JACQMAIN, l’architecte, pour définir son projet et cité dans l’Itinéraire du Sart Tilman, de Pierre Frankignoule : les homes d’étudiants « présentent la caractéristique d’être une ruche périphérique dont le vide central est occupé par les volées croisées d’un escalier double ».

Pour citer cet article

Maerschalck A., « Mutations du logement étudiant », in Dérivations, numéro 2, mars 2016, pp. 48-55. ISSN : 2466-5983.
URL : https://derivations.be/archives/numero-2/logement_etudiant.html

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