Dérivations

Pour le débat urbain

Réapprendre à habiter

Analyse

Individus désorientés, dépendants, souffrant de fragilités psychiques ou simplement incapables de financer leur propre logement après une rupture amoureuse ou une perte d’emploi ; victimes de la hausse des loyers – ou d’eux-mêmes, obligés de déménager à cause de comportements locatifs inappropriés… Les raisons pour lesquelles les gens perdent leur logement sont pléthore, mais toutes mènent au même endroit : la rue. Certaines personnes restent sans abri pendant des années. À Gand, le bureau AE-Architecten a construit pour le CPAS onze logements destinés à reloger les sans-abri de longue durée et à montrer, dans le cadre du projet « Robuust wonen », à quel point le chez-soi constitue la base d’une existence digne.

En Belgique, on estime que 32 000 personnes vivent dans la rue, dont un nombre croissant de femmes et d’enfants. Ce chiffre de 27 personnes par 10 000 habitants est supérieur à la moyenne européenne – seules la France et la Grande-Bretagne font moins bien, avec respectivement 30 et 43 sans-abri par 10 000 habitants. À l’échelle de l’Europe, ce sont presque 4 millions de personnes qui sont sans toit ou sans domicile fixe ; c’est pourquoi le Parlement européen a voté en novembre 2020 une nouvelle résolution |1| appelée à réduire drastiquement ce chiffre. Partant du principe que le logement est un droit fondamental, il s’est ensuite fixé comme objectif d’éliminer complètement le sans-abrisme en Europe d’ici à 2030. Pour y parvenir, il aide les États membres à prendre des mesures telles qu’investir davantage dans les logements abordables, améliorer l’accompagnement physique et psychologique des personnes sans-abri et accroître la capacité des centres d’accueil. Malgré cela, le sans-abrisme a augmenté dans la plupart des pays de l’UE au cours des 4 dernières années.

Housing First

Ces dernières années, seule la Finlande est parvenue à faire baisser ce chiffre. Dans ce pays de 5,5 millions d’habitants, on dénombre aujourd’hui moins de 5 000 personnes vivant encore dans la rue. C’est le résultat de l’approche radicale baptisée Housing First, qui part du principe d’assurer d’abord le logement, et ensuite les soins de santé. Chaque sans-abri reçoit un logement qui lui est propre, sans conditions. En effet, ce sont souvent ces « conditions » qui transforment en parcours d’obstacles le chemin menant de la rue à un logement individuel. Et plus la situation dure, plus c’est compliqué. Sans logement, l’accès aux soins est nettement plus problématique, et celui à l’enseignement et au travail est quasiment exclu. Mais en même temps, sans une santé de base et sans revenus, il est impossible de trouver un logement. Quant aux centres d’accueil, ils fixent de nombreuses règles. Le soir, il faut être rentré avant une certaine heure, il est interdit de consommer de l’alcool ou de la drogue ainsi que de posséder un animal de compagnie, et on n’est jamais seul. Dans certains centres, il faut même cuisiner ou faire le ménage, ce qui demande une collaboration entre les résidents. Ces conditions n’étant pas tenables pour de nombreuses personnes sans abri, elles se retrouvent sans cesse à la rue.

En Finlande, le premier projet Housing First a démarré dès 2008. Son parc immobilier est géré par la Fondation Y, une association de logement financée par les recettes de la Loterie nationale et par des prêts à faibles taux grâce à des garanties de l’État. Les communes, elles aussi, y contribuent à hauteur d’environ 150 euros par personne et par jour. Cela semble représenter beaucoup d’argent, et soulève beaucoup de critiques. « L’idée sous-jacente de la critique est apparemment qu’il y a des personnes qui méritent un logement et d’autres qui ne le méritent pas », explique Juha Kaakinen, ancien directeur de la Fondation Y et cofondateur de Housing First en Finlande. « C’est un argument que je ne comprends pas. Une société civilisée prend soin des personnes plus vulnérables. De plus, les études montrent que chaque euro investi dans le logement des sans-abri rapporte 2,5 fois la mise étant donné que cela permet de réduire les dépenses destinées aux centres d’accueil, soins ambulatoires et distributions alimentaires, ainsi qu’aux budgets de police et d’infrastructures pénitentiaires ».

La Fondation Y propose des logements de différentes formes et dimensions, allant d’une chambre avec sanitaires partagés où la cuisine et le ménage ne sont pas pris en charge par les locataires aux habitations individuelles pour familles ou personnes seules, et toutes les formules intermédiaires. L’accompagnement, lui aussi, est adapté, allant d’une assistance 24/7 avec des programmes de réinsertion à la visite d’un membre de l’équipe de travail social qui passe une fois par semaine pour voir si tout va bien. L’essentiel est toutefois que tous les résidents sont locataires, avec toutes les libertés et devoirs qu’implique un contrat de bail. Ils et elles reçoivent en outre un revenu de subsistance avec, selon la situation, un service de médiation qui gère le paiement du loyer ainsi que les dépenses alimentaires et autres. Cela permet aux personnes qui avaient tout perdu de réapprendre progressivement à habiter, à vivre et à se réinsérer dans la société. Cette approche a suscité beaucoup d’intérêt et plusieurs autres pays ont repris le principe de Housing First.

Skaeve Huse et Hufterbunkers

Une approche similaire existe au Danemark depuis l’an 2000 sous la dénomination Skæve Huse til skæve eksistenser, qui signifie littéralement « des maisons inhabituelles pour des personnes inhabituelles ». Ce programme cible les personnes atteintes de troubles mentaux – souvent associés à l’usage de drogue –, hyperréactives et n’étant pas en mesure de vivre en communauté, voire dans un quartier d’habitations sociales classiques. Souvent, elles ont déjà été intégrées dans toute une série de programmes de prise en charge et ont été en contact avec des aides diverses, mais leurs comportements inappropriés leur ont causé de nombreux problèmes, jusqu’à ce qu’elles terminent dans la rue. Dans le cadre d’un programme actif visant à « remettre au logement » les sans-abri de longue durée, l’État danois a mis au point une typologie d’une dizaine de maisonnettes individuelles d’environ 30 à 40 m², relativement éloignées les unes des autres, dans un environnement où les stimuli sont rares. Entre-temps, plus de 1 000 personnes ont déjà réintégré un logement.

Ici aussi, les occupants sont des locataires qui ne sont liés qu’aux règles de leur contrat de bail, par exemple le paiement du loyer et le respect de l’habitation. Ils et elles peuvent donc aller et venir comme bon leur semble, sans obligation d’être « clean » pour pouvoir louer un bien. Dans chaque quartier Skæve Huse, un travailleur social qui y est installé soutient les habitants en fonction de leurs besoins et exigences. Il peut s’agir d’une assistance administrative, mais aussi de soins physiques et psychologiques, ou d’une aide dans le cadre des problèmes d’alcoolisme ou de dépendance aux drogues.

Aux Pays-Bas aussi, la formule des Skæve Huse ou Hufterbunkers, à savoir des quartiers d’une dizaine de petites maisons individuelles, a déjà fait ses preuves depuis plusieurs années pour reloger des personnes. Ici, l’accent est mis sur les individus qui créent des problèmes dans leur quartier ou qui, en raison de comportements dysfonctionnels, passent à travers les mailles du réseau classique d’assistance ou de logements sociaux, et se retrouvent dès lors à la rue pour de longues périodes. Ici aussi, le logement passe avant l’assistance, mais l’accompagnement est intense et obligatoire. Une personne chargée de l’accompagnement est présente dans le quartier 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour veiller au bien-être des habitants. L’objectif est qu’à terme, les personnes puissent à nouveau vivre dans un environnement « normal » étant donné que les hufterbunkers ne sont pas un terminus. Ce programme existe déjà depuis plus de 10 ans et, ici aussi, il porte ses fruits. Avoir un domicile fixe procure aux habitants de la stabilité et du calme, ce qui leur permet de résoudre progressivement les problèmes à la base de leur comportement ou de leur sans-abrisme. Cela commence généralement par une prise de conscience de leur propre situation afin de réduire ou arrêter complètement la consommation d’alcool et de drogues, et d’accepter l’assistance psychologique. Les habitants reçoivent aussi un encadrement pour réapprendre des routines quotidiennes telles que faire la lessive, cuisiner, ranger et, finalement, trouver un emploi. Les chiffres démontrent que la plupart de ces personnes restent plusieurs années dans leur logement. Il leur faut souvent une année complète pour s’apaiser avant de pouvoir faire les premiers pas sur leur long parcours de réinsertion dans la société.

Expérience belge

En Belgique, un programme basé sur les principes Housing First est en cours depuis plus de 10 ans pour offrir un toit aux sans-abri, dans le cadre du Second Plan fédéral de Lutte contre la Pauvreté de 2012. Pour le transposer dans la pratique, les associations et acteurs publics de Bruxelles, Anvers, Gand, Charleroi et Liège ont proposé de mettre en commun leur expertise et leurs réseaux. Grâce au soutien du Secrétaire d’État et à un subside de la Loterie Nationale, l’expérience Housing First Belgium (HFB) a démarré en août 2013, pour une période initiale de deux ans. Pour consolider les premières conclusions et étendre le modèle, l’expérimentation a été prolongée d’un an, jusqu’en 2016, pour inclure trois autres villes de taille moyenne : Hasselt, en collaboration avec le CPAS et le CAW (Centre pour le Bien-Être général), Molenbeek-Saint-Jean, en collaboration avec le CPAS, les Infirmiers de Rue et SMES-B, ainsi que Namur, également en collaboration avec le CPAS et le Relais social urbain namurois.

Cette expérience s’est avérée être un franc succès. Depuis lors, 45 programmes Housing First sont en cours dans toute la Belgique pour héberger quelque 500 sans-abri de longue durée.

Une équipe d’évaluation a comparé les parcours des locataires soutenus par les équipes de HFB avec ceux des sans-abri ayant recours au système d’assistance traditionnel. Cette comparaison a révélé que plus de 93 % des locataires avaient toujours un logement au bout de deux ans. En 2020, soit quatre ans après la fin de l’expérience, ce pourcentage était encore de 86 %. Malgré le profil très vulnérable du groupe cible, le programme Housing First prouve qu’il est possible de loger les sans-abri et que même celles et ceux qui ont vécu longtemps dans la rue sont toujours en mesure, à terme, de vivre de manière indépendante |2|.

Reloger les sans-abri ou les SDF de longue durée, extraire de leur environnement les personnes présentant des problèmes psychiatriques qui perturbent leur quartier et leur donner leur propre logement, c’est un travail sur mesure qui requiert beaucoup de connaissances sur le terrain, d’énergie et de budget. Ce dernier, en particulier, soulève souvent de la résistance, et on se demande qui va payer pour tout cela, et si le coût de ce relogement doit réellement être pris en charge par la société. Deux associations bruxelloises qui luttent contre le sans-abrisme et l’absence de chez-soi, à savoir Droit à un toit et le Syndicat des immenses, ont demandé au DULBEA, le Département d’économie appliquée de l’ULB, de comparer pour la Région de Bruxelles-Capitale le coût de la politique actuelle liée aux sans-abrisme et l’absence de chez-soi, et ce que coûte le relogement. Que constate-t-on ? Le coût sociétal du sans-abrisme se situe aujourd’hui quelque part entre 30 000 et 85 000 euros par an et par personne. Il s’agit en l’occurrence des coûts directs tels que l’accueil d’urgence, l’accueil en centre de jour, les services médicaux, le travail de rue, l’aide alimentaire et les infrastructures de crise, mais aussi des coûts indirects tels que l’aide du CPAS, l’assistance juridique, les interventions de police, les frais de justice et l’entretien de l’espace public. Pour sortir quelqu’un de la rue, il faut compter de 33 000 à 70 000 euros par an et par personne, selon le profil de la personne. Pour la société, financer le statu quo et laisser les gens dormir dans la rue représente donc le même coût que de les héberger dans une habitation digne de ce nom. Laurent d’Ursel est le coordinateur du centre pour sans-abri Doucheflux et le porte-parole des initiateurs de l’étude. « Les activistes ne parviennent pas toujours à convaincre. Qui plus est, on les qualifie d’idéalistes naïfs, de rêveurs. Grâce à cette étude, on peut à présent abandonner les slogans pour s’appuyer sur des données chiffrées » |3|.

Robuust wonen – Le logement robuste

Gand est une des villes où Housing First Belgium est à l’œuvre depuis 2013, en collaboration avec différentes organisations, dont le CPAS.

Thomas Maeseele, chef du Service d’aide aux Sans-Abris du CPAS de Gand, explique : « À Gand comme partout en Europe, le sans-abrisme et l’absence de chez-soi augmentent. C’est un funeste baromètre qui permet de mesurer certaines dérives du système : la socialisation des soins, les séjours raccourcis en soins psychiatriques, la pénurie de centres d’accueil et, surtout, la crise du logement et le manque de logements abordables. C’est pourquoi nous avons rédigé une nouvelle note politique fixant pour objectif de reloger d’ici 2040 toutes les personnes sans abri séjournant légalement à Gand ». Dans ce cadre, le CPAS a décidé de lancer le projet « Robuust Wonen » avec l’aide de la Ville de Gand et d’un subside européen, qui compte onze habitations individuelles destinées au relogement des sans-abri de longue durée, sur la base des principes des Skaeve Huse. En collaboration avec divers partenaires de la société civile tels que les travailleurs de rue, environ 120 personnes susceptibles de bénéficier d’un logement ont été sélectionnées. Elles ont été convoquées pour des entretiens à l’issue desquels 11 d’entre elles ont été retenues pour le premier projet. Thomas Maeseele : « Nous avons conscience que c’est une goutte d’eau dans l’océan, mais ce n’est que le début ; il y aura d’autres projets à l’avenir ».

Reloger les sans-abri ne se résume pas à simplement installer un conteneur fonctionnel pour répondre aux besoins primaires les plus élémentaires des gens. Dès le départ, « Robuust wonen » avait pour ambition de proposer des espaces décents à ses bénéficiaires, contrairement aux Hufterbunkers ou aux Aso-Containers. L’équipe a opté pour une solution sur mesure. Pour cela, elle a collaboré avec Peter Vanden Abeele, le Stadsbouwmeester (Maître Architecte) de Gand, et son équipe. Ensemble, ils ont lancé auprès d’un groupe de « concepteurs prometteurs » déjà préselectionnés un concours qui a été remporté par AE-Architecten avec un projet compact de 11 maisons mitoyennes. Le projet a été réceptionné en avril 2024.

« Le choix des maisons mitoyennes n’était pas une évidence », explique Jan Baes du bureau AE-architecten. « Nous avions bien entendu étudié les projets de Housing First à l’étranger, où il s’agit systématiquement de petites maisons individuelles, suffisamment écartées les unes des autres pour limiter le plus possible les interactions entre les habitants. Nous avons réalisé plusieurs études d’implantation, mais vu la forme et l’emplacement du terrain, les maisons mitoyennes en duplex se sont révélées être la meilleure solution ».

Longue et étroite, la parcelle se situe à la lisière de la ville, perpendiculairement à une large avenue qui mène au port. La rangée des maisons est elle aussi perpendiculaire à l’axe principal. On y accède par un sentier qui part de la rue et s’étend sur toute la profondeur du terrain. Les habitations sont les dernières constructions de la rue, avant de parvenir à de petits jardins ouvriers. Vu qu’il est important que l’environnement comporte un minimum d’éléments susceptibles de déclencher des réactions chez les habitants, toutes les maisons donnent sur la végétation des jardinets. La façade principale se retrouve par conséquent côté nord, mais la vue et le calme ont en l’occurrence primé sur l’orientation. Jan Baes : « Pour qu’il y ait suffisamment de lumière du jour, nous avons installé l’escalier dans un vide le long de la façade sud. Une grande fenêtre permet au soleil de pénétrer jusqu’au cœur de la maison ».

Étant donné la superficie limitée de chaque habitation – environ 40 m² –, la lumière et la vue constituent toujours un défi, en particulier dans un projet où l’intimité des habitants est un des critères de base. C’est pourquoi le bureau AE-architecten a adopté le principe de la « profondeur sociale », qui intègre plusieurs filtres visibles ou invisibles entre l’espace public de la rue et l’espace privé de la chambre à coucher. Dans ce contexte, la lisibilité du statut de l’espace était également très importante, pour que les habitants sachent clairement : ici, c’est ma maison, là, c’est celle de mon voisin, et l’espace public s’arrête là-bas. La transition entre la rue et le sentier, c’est-à-dire entre l’espace public et l’espace collectif, est marquée par un passage entre deux arbres. En réalité, il n’y a pas un, mais deux sentiers, séparés par une bande de gazon. On peut donc s’y croiser sans qu’il y ait de proximité trop importante. Depuis le sentier, on a une vue claire des maisons, neuf habitations en duplex flanquées de deux maisons de plain-pied, accessibles aux personnes à mobilité réduite. Chaque maison possède un jardin avant, ceint d’un mur. Une petite barrière rouge permet d’entrer dans le jardin avant, et donc de pénétrer dans un premier espace privé de la maison. Depuis le sentier, on peut voir toutes les barrières, ce qui est important pour le contrôle social. Mais comme le mur de chaque jardinet forme un angle rentrant, les habitants ou visiteurs peuvent franchir la clôture dans une certaine discrétion, et arriver ou repartir à l’abri des regards du voisinage. Du jardin, on accède au séjour, qui est un peu plus en retrait que dans les habitations standards. Le mur séparant le jardin du sentier est juste assez haut pour que les habitants soient hors de la vue des passants, tandis que depuis le séjour, ils peuvent voir au-dessus du mur grâce à la légère pente du terrain. Ce sentiment de contrôle est très important pour le public cible du projet, qui peut ainsi surveiller les allées et venues, et se prémunir d’éventuelles visites indésirables telles que d’anciennes fréquentations de la rue ou des dealers ayant l’intention d’abuser de sa vulnérabilité.

L’escalier qui s’enroule autour d’une petite cuisine mène à la chambre à coucher dotée d’une douche ouverte et d’un lavabo. Une grande fenêtre s’ouvre généreusement sur la végétation des jardins ouvriers.

Les habitations sont dotées d’un chauffage par le sol alimenté par une pompe à chaleur ne consommant pas d’énergie fossile. Seuls les techniciens peuvent accéder, via une petite porte dans la façade arrière, aux installations techniques logées sous l’escalier. « Une partie du programme « robuste » consistait à rendre les installations techniques le plus invisibles possibles pour éviter qu’elles ne soient démontées ou détruites », explique Jan Baes. « Toutes les canalisations sont intégrées aux murs, les compteurs sont cachés, et les habitants n’ont pas accès à la pompe à chaleur et au thermostat. Seule une petite grille de ventilation est visible, mais elle possède un petit témoin lumineux lui aussi susceptible de déclencher une réaction des habitants. Il n’a donc pas toujours été facile de concilier les obligations légales et les besoins des habitants. Par exemple, les fenêtres sont un peu trop grandes par rapport à la surface des façades et du sol, et la superficie habitable est en réalité trop petite par rapport aux normes en vigueur. C’est là qu’on constate que la réglementation est parfois à la traîne pour les programmes innovants ».

Les maisons « robustes » sont un projet d’habitat atypique étant donné que tout espace collectif a été sciemment évité. Les architectes ont choisi la typologie du béguinage qui est fortement orientée sur la maison individuelle. Il n’y a même pas de hangar à vélos commun, et les boîtes aux lettres sont installées individuellement devant chaque maison, alors que dans un projet classique, on les aurait probablement toutes installées au début du sentier. Les habitants ne se croisent que sur le sentier et dans l’unité de gestion. Tous les jours, deux personnes en charge de la gestion y sont présentes pendant les heures de bureau pour s’assurer que tout se passe bien. Elles réparent ce qui est cassé ou signalent les pannes et problèmes d’ordre technique. Elles sont à l’écoute des habitants, auxquels leur présence apporte une certaine stabilité. Le CPAS organise également l’accompagnement individuel qui, en pratique, est assuré par une personne de confiance qui assurait déjà le suivi de chacun et chacune à l’époque de la rue.

Un lave-linge est à la disposition des habitants dans l’unité de gestion. C’est le seul et unique lieu collectif du projet. Malgré cette approche fortement individualiste, à terme, l’ambition est de créer des lieux de rencontre via un potager collectif en collaboration avec l’artiste Rudi Luijtens, qui a également réalisé les plantations sur le site. Mais la première priorité est d’offrir aux habitants un lieu d’apaisement, ce qui dure en moyenne un an. Thomas Maeseele : « Le projet fêtera bientôt son premier anniversaire, et ce sera l’heure d’un premier bilan. Nous constatons cependant d’ores et déjà que la plupart des habitants vont bien. Les locataires ont un bail à durée indéterminée et peuvent rester aussi longtemps qu’ils et elles le souhaitent. Beaucoup, qui n’avaient plus eu depuis très longtemps une telle sécurité de logement, ont enfin l’esprit tranquille ».

|1| Résolution du 24 novembre 2020 du Parlement européen sur la réduction du taux de sans-abrisme dans l’UE (2020/2802(RSP)).

|2| Site internet du SPF intégration sociale, « Le modèle Housing First », https://www.mi-is.be/fr/themes/lutter-contre-le-sans-abrisme-et-labsence-de-chez-soi/housing-first-belgium/le-modele-hf.

|3| Develtere, L., « Studie : Dakloosheid oplossen niet duurder dan mensen op straat laten leven », Sociaal.net, 2022, URL : https://sociaal.net/achtergrond/dakloosheid-oplossen-door-housing-first-niet-duurder/#:~:text=Wat%20blijkt%3F,euro%20per%20jaar%20per%20persoon.

Pour citer cet article

De Visscher L., « Réapprendre à habiter », in Dérivations, numéro 10, septembre 2025, pp. 86-101. ISSN : 2466-5983.
URL : https://derivations.be/numeros/numero-10/reapprendre-a-habiter.html

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