La mue urbanistique de Seraing se poursuit. La nouvelle place Kuborn, à l’entrée de la ville, en rive droite, a été inaugurée au mois de mai avant d’accueillir, quelques jours plus tard, une des étapes du grand événement « Métamorphoses ». C’est rien moins qu’un centre-ville qui est en train de s’édifier, avec sa nouvelle cité administrative, le siège de la société CMI, l’immeuble « NeoCittà » et son parc — avant son point d’arrêt du REL et peut-être même sa gare IC |1|. Ont même été évoquées, en mars, lors du dernier MIPIM de Cannes |2|, de possibles salles de cinéma sur la place |3|, dans le cadre du complexe « Gastronomia ».
C’est donc à présent à la rive gauche du fleuve que semble s’intéresser le bourgmestre de Seraing, Alain Mathot, qui a annoncé, peu de temps après l’inauguration de la place Kuborn, son intention de construire à Jemeppe-sur-Meuse une tour de logement, qu’il souhaite la plus haute de Wallonie. Seraing compte déjà une tour de 25 étages, la plutôt décatie « Tour de l’Avenir », sur les hauteurs, mais aussi plusieurs structures industrielles de grandes dimensions, dont — depuis que la démolition du HF6 a débuté — le dernier haut-fourneau encore debout en région liégeoise, le HFB d’Ougrée. Mais avec cette nouvelle construction, la Ville prendrait une autre dimension, comme M. Mathot l’a expliqué au journal La Meuse : « Je veux que cette tour soit la plus haute de la région liégeoise. Avec 30 étages, elle sera plus grande que la tour des finances de Liège. »
Cette annonce s’ajoute à d’autres pour corroborer l’analyse selon laquelle une nouvelle époque de construction de tours a commencé à Liège avec le nouvel immeuble des finances |4|. Bien sûr, le risque, dans cette course, est toujours d’être dépassé par un autre projet en cours de route : pointe de Bavière, « projet Barvaux », Val Benoit,... les possibilités ne manquent pas.
Bien sûr aussi, on est tenté de sourire à ce concours visant à savoir qui aura la plus grande ; de déplorer peut-être tout ce dont la tour est aujourd’hui le symbole : celui d’une défaite de la pensée de la ville devant le marketing urbain ; celui du remplacement d’un habitat propice à la rencontre et à la mixité par des prisons verticales productrices d’entre-soi et d’isolement du reste de la ville — ceux de nos lecteurs qui auront vu High Rise, curieuse adaptation dystopique et furieusement seventies de J.G. Ballard, par Ben Wheatley, comprendront de quoi nous parlons.
Et pourtant ! Et pourtant : M. Mathot a raison ! S’il y a un endroit où la tour comme vecteur de communication a bien une raison d’être, c’est Seraing. « La notion de record est toujours attirante et constitue un bon argument de ventes », explique le bourgmestre. Eh bien oui, s’il faut des symboles massifs pour que Seraing retrouve de l’intérêt aux yeux de l’extérieur, si la renaissance de la Cité du fer est au prix d’un peu de « bling bling » urbanistique, pourquoi pas ?
On ne saurait cependant trop suggérer aux autorités sérésiennes de se donner les moyens (par un concours international dans les règles de l’art ?) d’une vraie réussite architecturale et puis surtout de faire de ce projet — s’il trouve les investisseurs privés dont il aura besoin pour aboutir — un levier permettant de repenser fondamentalement l’ensemble du site, lequel se caractérise aujourd’hui par la césure presque infranchissable qu’il constitue entre Tilleur, Jemeppe et le cœur de Seraing. Ces trois quartiers ont pourtant tout à gagner à être réunis, c’est-à-dire à être inscrits dans une continuité urbaine où les piétons et les cyclistes ont leur place — contrairement à la situation actuelle qui voit un enchevêtrement rocambolesque de béton tout recouvrir jusqu’à vomir un pont dans la façade de l’ancien palais d’été des Princes-Evêques de Liège.
On n’y coupera donc pas : il faudra concasser en petits morceaux ce pont d’un autre âge, pour lui substituer plusieurs franchissements du fleuve, à caractère beaucoup plus urbains, dont l’un dans la continuité de la place Kuborn, permettant un accès direct, piéton et agréable, au quartier commerçant de Jemeppe — si possible avant que celui-ci ait disparu. L’autoroute, de même, devra s’arrêter plus en amont, laisser le bord de Meuse à d’autres fonctions qu’aux bretelles de bitume qui l’accablent aujourd’hui de leur sinistre présence.
Héritier de feu le Ministère national des travaux publics, on ne doute pas que le Service public de Wallonie verra la nécessité de contribuer significativement à cette transformation — si ce n’est au titre d’une politique de la ville, que ce soit au moins à celui de la réparation des actes de barbarie urbanistique commis au cours des années d’après-guerre.
Si la tour de M. Mathot peut contribuer à cette mutation, nous lui reconnaîtrons une évidente utilité.