Luxembourg, laboratoire européen du transport public
Le 10 décembre 2017 sera à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du Grand-Duché de Luxembourg : il verra l’inauguration du premier tronçon du nouveau tramway mais aussi de plusieurs autres infrastructures — gares et funiculaire — qui vont fortement y améliorer les performances du transport public. Le niveau très élevé de l’investissement comme le haut degré d’intermodalité de ces projets sont en passe de faire de la ville de Luxembourg une capitale du transport public européen.
par Antoine Faja
Il ne faut pas s’y tromper, sous des airs de tranquillité germanique et malgré sa taille modeste (115 000 habitants), la ville de Luxembourg est bel et bien une grande, qui polarise une large région transfrontalière et propose une diversité de services inconnue dans d’autres villes de cette taille. L’impression que l’on ressent, en arrivant dans la ville ou l’animation que l’on observe en s’y promenant sont plutôt éloignées de celles que l’on rencontrera dans de petites villes françaises, anglaises ou allemandes.
À certains égards, Luxembourg est une booming city devant gérer une croissance rapide de sa population. C’est d’ailleurs tout le pays qui connait une démographie galopante : sa population, d’environ 590 000 habitants au 1er janvier 2017, a plus que doublé depuis la fin de la seconde guerre mondiale et le mouvement s’accélère, largement alimenté par une immigration intra-européenne attirée par la prospérité économique de ce petit état. De surcroît, venant des régions limitrophes, en Belgique, en France et en Allemagne les travailleurs frontaliers sont de plus en plus nombreux à rallier chaque jour le Grand-Duché.
Le tramway, en trois phases
C’est notamment pour répondre à ces besoins de mobilité que, dans le cadre d’une « Stratégie globale pour une mobilité durable » ou « MoDu », présentée en avril 2012 par son gouvernement |1|, le Luxembourg est en train de devenir un laboratoire européen du transport public. Des investissements d’une ampleur considérable sont en effets en cours, marqués se surcroît par une approche intégrée des différents modes de transports, qui mène notamment à la création de plusieurs pôles d’intermodalité de très grande qualité, malgré une forte contrainte topographique.
La ville de Luxembourg s’articule en effet sur deux étages. Au rez-de-rivière, dans les vallées de la petite Pétrusse et de l’Alzette, l’ambiance est calme et verdoyante. C’est une quarantaine de mètres plus haut, sur trois plateaux reliés par d’emblématiques ouvrages d’art, que l’activité urbaine bat son plein, dans le quartier de la gare, au Sud, dans la vieille ville, enserrée par les deux vallées et sur le Kirchberg, au Nord.
La ligne de tramway sera dans un premier temps limitée au seul Kirchberg, sur un tracé de 4,6 km entre le « Pont rouge » et le Palais des Expositions, LuxExpo, à proximité duquel est implanté le centre de maintenance et de remisage. Elle est cependant dessinée pour desservir les trois quartiers principaux — une première extension, fin 2018, mènera le tramway jusqu’à la gare et un peu au-delà, non sans desservir d’abord la Ville-Haute. Ensuite, des extensions sont prévues vers l’aéroport du Findel, au Nord, et le quartier de la Cloche d’or, au Sud. L’ensemble de la ligne (16 km) devrait être opérationnelle en 2021. L’exploitation offre une amplitude horaire généreuse (de 4h40 à minuit en semaine, à partir de 5h40 le week-end) et une fréquence de 6 minutes (qui augmentera à 3 minutes en heures de pointe lorsque l’ensemble de la ligne sera achevée).
Cette ligne de tramway sera exploitée par une société entièrement publique, Luxtram, contrôlée par l’Etat luxembourgeois et par la Ville de Luxembourg. Fait notable : son conseil d’administration ne compte qu’un seul élu, en la personne de la bourgmestre de Luxembourg, Lydie Polfer, tous les autres administrateurs étant des représentants des diverses administrations concernées.
Le tramway, même si l’investissement qu’il représente est déjà très conséquent (559 millions pour l’ensemble de la ligne |2|), ne représente ainsi qu’une petite partie des projets récemment réalisés ou à venir.
Investissements massifs
Un nouvel ascenseur urbain |3|, conçu par le bureau Steinmetzdemeyer, s’ajoute à celui, plus ancien, du Grund, à côté de la cité judiciaire, a été inauguré à l’été 2016. Il relie la vallée de l’Alzette au parc Pescatore, dans la ville-haute. Il peut transporter 65 personnes et rattrape une dénivelée de 60 m en 30 secondes. Budget : 7,5 millions d’euros.
Plus impressionnant, un funiculaire |4|, conçu par la société Doppelmayr–Garaventa, sera mis en service en même temps que le tramway, le 10 décembre. Il reliera, en 63 secondes, la nouvelle gare de Pfaffenthal-Kirchberg, dans la vallée de l’Alzette, au plateau du Kirchberg et au tram. Avec ses deux lignes complètement indépendantes et ses quatre cabines pouvant accueillir 168 usagers chacune, il est prévu pour transporter 7 200 passagers par heure. Il évitera à tous les voyageurs venant du Nord du pays de devoir transiter par la gare centrale et le centre-ville pour rejoindre le Kirchberg, où sont situés des dizaines de milliers d’emplois. À terme, les trains venant de France (Thionville, Metz, Nancy) desserviront aussi la gare de Pfaffenthal, avec des gains de temps considérables pour les usagers. Coût pour le funiculaire et la gare : 96 millions d’euros.
Le 10 décembre verra encore l’ouverture d’une nouvelle gare périphérique à Howald, au Sud de la ville, qui sera, d’ici 2021, connectée elle-aussi à la ligne de tramway.
Ces projets s’inscrivent dans un plan d’investissement ferroviaire décennal de pas moins de 3,8 milliards d’euros. Rapporté à la population du pays, l’investissement ferroviaire s’élève à 700 euros par an et par habitant, là où la Belgique en investit moins de dix fois moins.
Ce plan — qui s’achèvera en 2023 — prévoit encore la création d’un troisième pôle multimodal à Ettelbrück, à une vingtaine de kilomètres au Nord de la capitale. Il prévoit également la construction d’une nouvelle ligne ferroviaire entre Luxembourg et Bettembourg |5|, pour la modique somme de 292 millions d’euros pour à peine 7 km (avec quelques ouvrages d’art, il est vrai).
Certaines voix critiquent cependant les choix posés, notamment l’asbl « RER Luxembourg », fondée en 2004, qui milite pour donner la priorité au développement d’un réseau régional. Le projet « Bus-Bunn » |6|, soutenu par cette association, propose la création d’un tunnel ferroviaire sous la ville-haute, scandé par cinq stations souterraines. Pour Georges Schummer, auteur de ce projet, le tram offre pas la capacité permettant d’assurer la mobilité des résidents et des 150 000 navetteurs quotidiens.
Ambitieuses perspectives
D’autres projets sont d’ores et déjà dans les cartons. Plusieurs extensions du tramway sont envisagées par le ministre écologiste François Bausch, vers Leudelange au Sud-Ouest, vers Bertrange à l’Ouest et vers le quartier du Kiem, au Nord. En juin dernier, le ministre a en outre annoncé faire une priorité de la construction d’une seconde ligne, en direction du Nord-Ouest (Mamer), dont les travaux sont annoncés pour le début des années 2020. Dernièrement, l’administration des ponts et chaussées a proposé |7| la création d’une antenne de tramway entre la gare et le quartier d’Hollerich, à travers un nouvel ensemble urbain qui devrait être bâti sur les 18 ha du site des anciennes usines de tabac Van Landewyck et pourrait accueillir pas moins de 4 000 habitants et 2500 emplois |8|.
L’ensemble de ces nouveaux développements, dont certains sont déjà en bonne voie, dessine, pour la prochaine décennie, un véritable réseau de tramway dans l’agglomération de Luxembourg. Le budget nécessaire avoisine le milliard d’euros.
Le ministre Bausch a fait savoir |9| qu’il présentera, au printemps 2018, un nouveau plan décennal d’investissement ferroviaire, d’une ampleur comparable à l’actuel. Bref, si l’on additionne la première enveloppe ferroviaire, les différentes phases, programmées ou à venir du tramway, et ce nouveau plan, c’est un montant de l’ordre de 10 milliards d’euros que le Luxembourg aura investi en deux décennies dans ses infrastructures de transport public. L’on n’ose même plus comparer de tels montants à ceux, dérisoires, que la Région wallonne investit dans ses deux grandes villes qui sont pourtant plus peuplées, l’une et l’autre, que la capitale grand-ducale.
Côté français, devant l’importance que prend le pôle luxembourgeois dans le bassin lorrain, certains édiles se sont pris à rêver à la création d’une ligne de tramway rapide |10| — voire même un monorail — entre Luxembourg et Thionville, deux villes qui ne sont séparées que par une trentaine de kilomètres, dans une perspective résolument métropolitaine et en évoquant un budget de 500 millions d’euros.
Le niveau de service qui sera proposé si tous ces développements devaient être réalisés pourrait atteindre voire dépasser celui des villes les plus avancées dans le transport public au niveau européen. Un parallèle peut être fait avec Berne, une ville de taille similaire et située dans un contexte pareillement escarpé.
Contexte très favorable
Pour conclure, nous n’éviterons pas de dire un mot sur les sources de la richesse luxembourgeoise. Car aucun autre pays, aucune autre ville n’a sans doute autant profité de son intégration dans l’Union européenne, dont elle est une sorte de résumé, par son caractère biculturel entre francophonie désormais dominante et germanité affirmée dans la culture et le mode de vie, par sa population où l’on retrouve de très nombreux ressortissants de tous les pays de l’Union. Luxembourg est d’ailleurs l’une des trois capitales officielles de l’Union européenne, en accueillant, dans le quartier du Kirchberg, le Secrétariat du Parlement européen, la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour des comptes européenne, la Banque européenne d’investissement, Eurostat ou le Mécanisme européen de stabilité. Les nombreux fonctionnaires qui font tourner ces administrations ne sont pas pour rien dans l’élan démographique et la prospérité du pays.
L’éclatante santé de son industrie financière est, quant à elle, directement liée à son statut de principal paradis fiscal à l’intérieur de l’Union européenne |11|. Mais on peut aussi remarquer que la Ville de Luxembourg, dans une Europe qui reste une alliance d’états disposant tous de prérogatives similaires, est par exemple la seule ville européenne a avoir été deux fois capitale européenne de la culture (en 1995 et en 2007) quand Edimbourg, Hambourg, Naples, Munich, Séville ou Venise ne l’ont jamais été. Tout cela a contribué à faire du Luxembourg le pays le plus riche du monde, avec un PIB par habitant qui n’est approché que par ceux de la Norvège et du Qatar.
Bref, on ne peut pas méconnaitre que le Luxembourg est un triomphateur insolent, bénéficiant, plus que quiconque, des largesses et de la mansuétude européennes tout en organisant l’évasion fiscale à l’échelle du continent en en bâtissant sa richesse sur cette prédation.
Mais il faut voir les choses positivement et inviter les usagers des réseaux de transports publics urbains déficients à force de sous-investissement et de discipline budgétaire, en de multiples endroits d’Europe, ces usagers qui attendront sans doute encore longtemps la réalisation du grand plan d’investissement promis par M. Juncker, à se consoler en constatant que l’immense richesse captée par le Luxembourg est notamment consacrée à développer l’un des réseaux de transport public les plus performants du monde.
|1| Stratégie globale pour une mobilité durable pour les résidents et les frontaliers, Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg, avril 2012, 168 pages.
|2| Pris en charge à deux tiers par l’Etat et à un tiers par la Ville de Luxembourg pour ce qui est du tronçon central, entre LuxExpo et Bonnevoie — à 100 % par l’Etat pour les deux extensions finales.
|3| L’ascenseur panoramique Pfaffenthal – Ville-Haute, brochure publiée par la Ville de Luxembourg, juillet 2016, 40 pages.
|4| Page Wikipédia « Funiculaire Pfaffenthal-Kirchberg ».
|5| « Projet de la nouvelle ligne ferroviaire Luxembourg – Bettembourg », sur le site cfl.lu.
|7| RTL Luxembourg, 16 novembre 2017.
|8| « Des logements neufs pour 4.000 personnes à Hollerich », in Luxemburger Wort, 12 mai 2016.
|9| L’essentiel, 16 octobre 2010.
|10| Le Quotidien indépendant luxembourgeois, 23 septembre 2017.
|11| Zucman G., The Hidden Wealth of Nations, University of Chicago Press, 2015.
Pour citer cet article
Faja A., « Luxembourg, laboratoire européen du transport public », in Dérivations, numéro 5, décembre 2017, pp. 168-171. ISSN : 2466-5983.URL : https://derivations.be/archives/numero-5/luxembourg-laboratoire-europeen-du-transport-public.html
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