Dérivations

Pour le débat urbain

Le plan Wallonie cyclable à Liège

En 2011, la Ville de Liège a été sélectionnée comme commune Wallonie Cyclable (WaCy) et a ainsi pu bénéficier de budgets régionaux conséquents dans le but de développer significativement la pratique du vélo. Pour atteindre cet objectif, elle a défini ses intentions au sein de son Plan Communal Cyclable 2012-2015 (PCC), un objectif important étant la création d’un réseau cyclable structurant à l’horizon 2015. Au bout de cette période de gros investissements, la locale du Gracq Liège a souhaité évaluer le travail accompli et les avancées en matière d’aménagements d’infrastructures cyclables. En résumé, la question posée est la suivante : la cyclabilité de Liège a-t-elle connu un saut quantitatif et qualitatif significatif ces 5 dernières années ?

La situation du vélo à Liège avant Wallonie Cyclable

Des voitures qui vous frôlent à des vitesses élevées, des bus qui vous dépassent, se rabattent en vous faisant un queue de poisson, la dangerosité de certaines rues qui vous pousse à vous refugier sur les trottoirs, ces moments où vous êtes coincés dans une file d’automobiles à respirer à plein poumons les particules fines, ces (rares) pistes cyclables que vous ne pouvez utiliser car elles sont colonisées par les voitures en stationnement, parfois par les piétons, les coups de klaxons de certains automobilistes qui estiment qu’un cycliste n’a rien à faire sur la route, les nids de poule, les bordures, les rues pavées, les courts tronçons cyclables qui s’arrêtent subitement vous laissant désemparé sans savoir où se diriger… tel était le lot quotidien des cyclistes liégeois il y a à peine quelques années. Ils ne polluent pas, occupent peu d’espace, coûtent peu à la collectivité, font peu de bruit et rendent la ville plus conviviale. Pourtant, si on excepte les Ravel, depuis des décennies, rien n’a été fait pour eux dans la cité Ardente. La politique communale de mobilité a tout simplement méprisé la petite reine, jugée d’un faible intérêt. Quand on s’interroge sur la place occupée par le vélo à Liège, singulièrement au sein des politiques de mobilité, il est nécessaire, pour éviter de sombrer dans la neurasthénie, de mettre quelques minutes une paire de lunettes roses. Celles qui vous font voir la vie un peu plus positivement qu’elle ne l’est réellement.

Inutile de rappeler pourtant combien le vélo constitue un élément de solution à de nombreux problèmes auxquelles les villes — et singulièrement Liège — doivent faire face : saturation du trafic automobile, saturation du réseau de transport en commun, pollution de l’air et problèmes de santé publique, réchauffement climatique, disparition de la convivialité de l’espace public au profit du tout à la voiture, nuisances sonores, dépendance énergétique… Les avantages du vélo ont pourtant été bien compris ailleurs où on assiste à ce que certains qualifient de « retour de la bicyclette » (Héran, 2014). Le phénomène est palpable dans des villes telles que Montréal, Ljubljiana, Paris, Londres, Bordeaux mais aussi des villes de taille comparable à Liège telles que Malmo ou Strasbourg (pour ne rien dire des villes danoises et néerlandaises championnes hors catégorie en la matière). Derrière ces tendances, il y a peu de mystère. Dans ces villes, des politiques ambitieuses en matière d’infrastructures cyclables ont permis à ce phénomène sociologique des nouveaux cyclistes urbains (désormais plutôt des classes moyennes ou aisées enclines à déserter les villes) de s’épanouir.

Liège annonce pourtant depuis longtemps poursuivre des objectifs ambitieux pour le vélo. Dès 2004, les autorités liégeoises votaient un Plan communal de mobilité (PCM) visant une part modale de déplacements cyclistes de 10 % à l’horizon 2010. Cette volonté ne s’accompagnant d’aucune politique effective, dix ans plus tard, en 2014, la dite part modale n’atteignait qu’un très faible 1,4 % des déplacements domiciles-travail… (SPF Mobilité et transports, 2016) Soyons de bon compte, ce chiffre, bien que très faible, marque une progression de 75 % comparativement à 2005 (la dite part modale affichait alors 0,8 %) ; Liège est donc également travaillée par cet intérêt accru pour le vélo.

De nombreuses raisons expliquent le faible développement du vélo à Liège. On pointera particulièrement le couple sentiment d’insécurité / absence d’aménagements cyclables. Le sentiment d’insécurité constitue en effet un frein majeur. 39 % des Wallons avancent qu’ils prendraient plus souvent le vélo si c’était moins dangereux (SPW, 2013). Un wallon sur trois (28 %) souhaite une amélioration des infrastructures cyclistes (SPW, 2013). A Liège, la consultation des liégeois en 2013 lors du « Projet de ville » révélait que 38,5 % d’entre eux demandent « la mise en œuvre du plan global en faveur du vélo ». Les liégeois étaient de surcroît très clairs quant à leurs attentes en matière d’infrastructures : « Les commentaires vont globalement dans le sens de davantage d’aménagements pour les cyclistes et la mise en place de pistes cyclables sécurisées (et pas seulement marquées) et continues. » (Projet de ville, 2012-2022, p. 37) .

La politique de mobilité liégeoise a connu un virage inédit à l’occasion du Plan Wallonie Cyclable mis sur pied au niveau régional par le Ministre Henry. Ce plan visait à concentrer les moyens disponibles pour le vélo dans certaines communes sélectionnées. Un appel à candidatures invitait les candidats « à identifier un Coordinateur vélo et à élaborer un Plan communal cyclable ». La ville de Liège a saisi cette opportunité. Le 05 septembre 2011, le conseil communal de Liège adoptait son « Plan communal cyclable 2012-2015 » (PCC). Ce document établissait les intentions de la Ville pour améliorer l’usage du vélo à Liège, un objectif important étant un saut qualitatif en termes d’infrastructures à l’horizon 2015. Le 1er décembre 2011, le Gouvernement Wallon choisissait dix « communes pilotes Wallonie cyclable », dont la ville de Liège qui bénéficiait dès lors d’un subside d’environ 1 million d’euros par an pendant 4 ans à raison de 70 % de fonds régionaux et de 30 % de financements communaux. Au total, 4 058 938 € ont été disponibles sur (en réalité) 5 ans (2012-2016) ; dont 943 367 € de part communale et 3 144 371 € de subsides régionaux (Ville de Liège, 2012 ; CCCV du 07/10/15).

En 2016, on peut donc se demander quel a été l’impact de ce plan sur la cyclabilité à Liège. Les constats recensés plus haut sont-ils toujours d’actualité ? Quelle a été l’ampleur de ce saut qualitatif en matière d’infrastructures ? Cette impulsion marque-t-elle un changement politique majeur sur les questions de mobilité et un meilleur partage de l’espace public entre les différents usagers ? Durant année 2016, 5 ans après son lancement, la locale Gracq de Liège a réalisé un bilan des réalisations prévues par ce Plan cyclable à Liège pour voir si les objectifs fixés initialement ont été réalisés et avec quel niveau qualitatif .

Le Plan Communal Cyclable et ses objectifs
Parmi les principales actions visées par le PCC, on trouvait le développement de six « itinéraires cyclables structurant » et de quatre « jonctions » [ voir figure 1 ]. Les itinéraires cyclables structurants sont :
1 Guillemins-Centre-ville
2 Guillemins-rive droite
3 Traversant de robermont à St Léonard
4 Traversant, de chênée au centre-ville
5 Flanc de colline, de Burenvilles aux Vennes, via Guillemins
6 Flanc de colline, de St Marguerite à Amercœur via le centre-ville

Ces itinéraires devaient répondre à cinq critères (sûr, rapide, cohérent, confortable et agréable) et deux principes d’aménagement :
Principe 1 : « Si la vitesse autorisée est égale ou supérieure à 50 km/h, un espace propre sera réservé aux cyclistes soit via une piste cyclable marquée, soit via une piste cyclable séparée » (PCC, 2011, p. 27)
Principe 2 : « Si la vitesse autorisée est égale à 30 km/h, la mixité sera d’application avec un marquage suggéré sur le réseau structurant. » (PCC, 2011, p. 27)

En termes de politique de mobilité, la définition d’un tel réseau cyclable constitue une initiative heureuse et même une condition nécessaire au développement du vélo. Héran (2014, p. 170), maître de conférence à l’université de Lille 1, observe en effet que les politiques de villes cyclables en France « se sont rendu compte qu’il ne suffit pas de réaliser des aménagements cyclables, encore convient-il que le réseau soit suffisamment dense et maillé, avec un niveau de sécurité homogène. Un effort de programmation se révèle indispensable à travers la mise au point d’un schéma directeur des itinéraires cyclables précisant les axes structurants et les aménagements prioritaires. Cela passe par le repérage et le traitement des discontinuités […] »

Le Gracq de Liège soutient vivement l’adoption des deux principes d’aménagements définis qui structurent ce réseau. Concernant le premier principe, la création d’une espace propre aux cyclistes sur des voiries à 50 km/h est un principe fidèle aux recommandations habituelles en agglomération (IBSR, 2012, p. 8 ) en vigueur dans la plupart des villes où le vélo rencontre un succès. Ce principe possède les avantages suivants :
Sentiment de sécurité des cyclistes plus élevé qu’en cas de trafic mixte (IBSR, 2007).

Plus de sécurité qu’en cas de trafic mixte.

Favorise la visibilité et la légitimé de la présence d’un cycliste en ville (aux yeux du cycliste et des autres usagers) . Moins il y a de cyclistes en ville et moins les autres usagers s’attendent à la présence d’un cycliste. Et la relative rareté actuelle, les rend donc peu présents à l’esprit des automobilistes.
Plus de rapidité pour le cycliste qui évite les files et les bouchons. On sait que le succès du vélo dans les villes à haut taux de recours au vélo est généralement dû à l’efficacité de ce moyen de déplacement en termes de temps de parcours.

Favorise le recours au vélo à tous et notamment aux plus jeunes (l’avenir).
Moindre exposition à la pollution automobile et notamment aux particules fines (car le cycliste n’est pas coincé dans les files). Si d’aventure cette piste cyclable est séparée et se situe à distance du trafic motorisé, s’ajoute l’avantage de faire du vélo le moyen de transport le moins exposé aux particules fines (Bertrand, 2016).

Concernant le second principe, le marquage d’une bande cyclable dans les voiries à 30 km/h possède les avantages suivants :
 Rappelle la légitimité du cycliste sur la chaussée dans une situation de mixité avec les automobiles,
 Permet aux autres usagers d’anticiper la présence d’un cycliste (pour l’automobiliste et le piéton qui traverse, notamment dans le cas souvent dangereux des SUL).
 Favorise la diminution de la vitesse et le respect de la Z30 par les automobilistes.
 Diminue la propension au dépassement (Knoflacher, 2015).
 Favorise le respect de la distance de sécurité (Knoflacher, 2015).
 Favorise un meilleur positionnement du cycliste (Knoflacher, 2015).

Évaluation et observations

Durant l’année 2016, qui correspond à la fin des budgets Wallonie Cyclable, le Gracq Liège a réalisé une évaluation des réalisations de ces itinéraires et jonctions. Cette évaluation repose sur une confrontation entre ce qui était annoncé et des observations sur le terrain afin de voir ce qui a effectivement été réalisé et si les réalisations correspondent bien aux principes d’aménagements annoncés. Afin de faciliter l’analyse, une cartographie de l’ensemble des tronçons a été réalisée en leur associant un code couleur selon leur degré de conformité à ce qui était annoncé :
 tronçons aménagés conformément aux principes du PCC (en continu)
 tronçons aménagés mais pas de façon conforme aux principes du PCC (en tiretés foncés)
 tronçons non aménagés (en tiretés clairs)

Le travail cartographique permet également de donner une évaluation plus détaillée du pourcentage de kilomètres d’itinéraires et de jonctions conformes aux principes initiaux du Plan Communal Cyclable
Il ressort que, au total, en juin 2016, seulement 21 % du réseau cyclable structurant prévu au PCC est conforme aux principes d’aménagements adopté par le conseil communal en 2011 et constituent des tronçons cyclables relativement sûrs . Sur 42 km d’itinéraires concernés, seuls 9 km s’avèrent conformes aux deux principes, 5 km sont l’objet d’aménagements cyclables sans être conformes et 28 demeurent non aménagés.

De manière plus globale, le Gracq Liège est en mesure de poser quatre grandes observations :
1 sur six itinéraires cyclables structurants annoncés, aucun n’est aménagé de façon continue ;
2 sur quatre jonctions annoncées, aucune n’est aménagée de façon continue ;
3 sur trois quartiers apaisés (zone 30) annoncés, aucun n’est encore finalisé et, à terme, si deux d’entre eux verront le jour, aucun ne respectera les principes annoncés ;
4 sur dix points noirs, un seul a été solutionné (à Fontainebleau).
Les observations n°1 et 2 signifient concrètement qu’aucun de ces itinéraires / jonctions ne respecte les deux principes d’aménagement adoptés. A ce stade, 5 ans après le début du Plan Wallonie Cyclable à Liège, le réseau cyclable n’est donc encore malheureusement qu’une suite discontinue de tronçons cyclables et de lieux non aménagés forçant le cycliste à une mixité avec les automobiles très souvent dans des zones de 50 km/h et à haute densité de trafic.

67 % des aménagements ne sont pas réalisés en juin 2016. Parmi les raisons, on peut mettre en évidence que :
la Ville ou le SPW n’ont pas jugé opportun d’aménager certains des tronçons annoncés dans le PCC préférant laisser l’intégralité de l’espace de la voirie aux automobiles. Il s’agit par exemple du carrefour entre la rue Ransonnet et le Bvd de la Constitution qui présente une interruption marquée et dangereuse de l’itinéraire 3. La rue d’Amercœur, la rue de Robermont et la rue de Herve qui correspondent à la partie Est de l’itinéraire 6. Il s’agit encore du tronçon de l’itinéraire 6 qui connecte le cadran à la place Saint-Lambert (cadran, rue de l’Académie, rue de Bruxelles) où les réaménagements effectués en octobre 2016 n’ont pas prévu de PCM et où les points dangereux ne seront pas du tout résolus. ;

 tous les travaux prévus (budgets WaCy) ne sont pas encore terminés mais devraient l’être en 2017. Il s’agit notamment de la connexion Guillemins — Longdoz / Vennes (via le pont des Vennes, la rue Oscar Englebert vers la rue Natalis et le Quai Julien Remont vers la rue des Vennes), des zones 30 des quartiers de Bressoux ou des Vennes ;

 des budgets ont été utilisés (ou vont l’être) pour aménager des tronçons hors des itinéraires structurants repris au PCC : rue du Beau Vallon, rue de la Belle Jardinière vers le Sart-Tilman, itinéraire alternatif au Ravel 1. Bien que certains peuvent sembler pertinents, ces aménagements ne figuraient pas au PCC et dispersent ainsi les investissements sur un réseau plus large, affaiblissant la concentration des moyens sur le réseau structurant projeté et voté en 2011 ;

 des aménagements étaient prévus en parallèle à la réalisation du tram. La non réalisation de celui-ci a signifié la non réalisation des itinéraires cyclables concernés comme l’itinéraire 1, celui de fond de vallée [ figure 1 ] qui longe sur une grande partie le tracé du tram. Des tronçons concernent également les itinéraires 2, 3, 5 et 6 qui traversent l’itinéraire 1 . On mesure ici l’importance de la réalisation du tram pour la réalisation d’un réel réseau cyclable continu ;

 certaines voiries sont gérées par le Service Public de Wallonie. Il semble qu’un manque de coordination avec la Ville et un décalage dans les priorités existent ;

 la Ville a fait le choix quasi systématique de ne pas faire de bande cyclable suggérée (BCS) sur les itinéraires structurants situés dans les quartiers apaisés (zone 30). Selon le PCC, le principe de placer des BCS devraient quand même s’appliquer sur ces tronçons. Pourtant, il semble que la Ville se contente d’aménager les portes d’entrée de ces quartiers sans prévoir d’aménagements spécifiques pour les vélos / modes doux en leur sein. Pour le Gracq, mettre en évidence que l’on est sur un itinéraire cyclable permet aux automobilistes de prendre en compte et d’être plus attentifs à la présence de cyclistes. De plus, la mise en zone 30 envisagée ici implique une mixité sur la voirie qui ne résout pas certaines problématiques :
la congestion automobile dans laquelle peut être engluée le cycliste, ce qui n’arrive pas lorsqu’il dispose d’une PCM ou d’une espace propre séparé ;
l’exposition aux émissions de particules fines et autres gaz dangereux par les véhicules motorisés ;

 le sentiment de sécurité, notamment lorsque des véhicules imposants circulent sur la voirie (bus, camion, 4 × 4…) et qu’il ne respecte pas la limite de vitesses par manque d’aménagements internes à la zone 30.
12 % des itinéraires ne respectent pas les principes du PCC. Il s’agit fréquemment de l’absence de piste cyclable marquée sur des tronçons limités à 50 km/h ou plus. L’aménageur y a préféré, selon les cas, la simple pose de chevrons et logos vélo, l’utilisation de la bande des bus par les vélos ou encore d’un aménagement conforme mais dans un seul sens de circulation… Concernant l’usage de simple chevrons, on peut pointer une surutilisation de ce que l’on nomme une « bande cyclable suggérée » profondément insuffisante pour offrir aux cyclistes plus de confort, de sécurité et de fluidité. Cette zone n’offre légalement aucun espace aux cyclistes, et de facto, quotidiennement, les voitures roulent sur ces logos, souvent à haute vitesse. Le cas de la rue de Bruxelles avec ses hautes vitesses et sa grande densité de trafic automobile est à pointer parmi les nouveaux aménagements les plus absurdes. Quant à l’usage des bandes bus + vélo il pose le problème du dangereux dépassement des cyclistes par des bus roulant à 50 km/h. Le Gracq Liège constate donc ici la faible qualité d’aménagements cyclables pourtant flambants neufs, mais en réalité peu sécurisants et dissuasifs vis-à-vis des non cyclistes. La cause de cette faible qualité est souvent à chercher du côté de choix politiques qui continuent à offrir une place dominante aux automobiles quitte à mettre à mal un réseau structurant qui malgré les investissements continue à ressembler davantage à un suite discontinue d’aménagements qu’à de véritables itinéraires cyclables.

Enfin, il apparaît que même parmi les tronçons aménagés respectant les 2 principes du PCC, de nombreux points restent problématiques pour les cyclistes. C’est le cas dans certaines zones de mixité piétons-cyclistes, sur des voiries avec trop peu de marquage suggéré ou d’un revêtement inconfortable, de Zones 30 dont la densité de trafic est telle qu’il est simplement impossible d’y rouler, du non-respect par les automobilistes des infrastructures cyclables.

Parmi les aménagements réalisés et répondant aux critères et principes du PCC, on peut retenir quelques aménagements de qualité. Il s’agit notamment de :

 l’avenue Destenay qui présente des PCM de chaque côté de la voirie avec une distance de sécurité par rapport aux voitures stationnées (itinéraire 4) ;
 le Boulevard d’Avroy qui présente les mêmes caractéristiques que l’avenue Destenay (itinéraire 1) ;
 la rue de Hesbaye (malgré quelques jonctions avec les rues adjacentes à améliorer, (itinéraire 6) ;
 le pont de Bressoux avec des PCM et des zones avancées pour cyclistes permettant de mieux se placer pour choisir sa direction au carrefour (itinéraire 3) ;
 la Passerelle Belle Liégeoise qui offre une nouvelle jonction douce entre rive gauche (Guillemins) et rive droite (Longdoz-Vennes) (itinéraire 2) ;
 les aménagements sous l’autoroute menant du Laveu au double rond-point de Burenville en passant par Saint-Laurent (itinéraire 5) ;
 un cheminement en site propre le long du Quai du Roi Albert, avec cependant des discontinuités, un revêtement de faible qualité et des passages étroits (itinéraire 2) ;
 quelques tronçons plus isolés comme la rue des Bonnes Villes, la rue Ransonnet (itinéraire 3) ; l’avenue de Lille et la rue Marneffe (itinéraire 2) ;
 l’avenue du Luxembourg et l’avenue Digneffe (itinéraire 5) ;
 une partie de la rue Solvay (itinéraire 1)…

Comme on l’a vu cependant, ces tronçons restent isolés et dès lors dangereux à leurs extrémités quand le cycliste doit se réinsérer sur des voiries non aménagées et avec lesquelles aucun raccordement sécurisé / sécurisant n’existe.

Le Gracq Liège souligne également l’aménagement prévu avec les budgets WaCy du RAVeL1bis, dossier initié par le Gracq pour désengorger le RAVeL1 depuis le parc de la Boverie jusqu’au-delà du pont Albert. Ce dédoublement était demandé suite aux nombreux conflits entre usagers ayant lieu sur ce tronçon étroit par endroit et peu pratique pour le vélo. Bien que ce tronçon ne fasse pas partie des itinéraires structurants du PCC, la solution envisagée sera très bénéfique pour la pratique du vélo sur une axe nord-sud et permettra d’éviter de nombreux conflits.

La Ville a également travaillé sur d’autres points pour développer la pratique du vélo. On peut notamment se féliciter du placement de nombreux arceaux vélos à différents endroits opportuns pour le stationnement de courte à moyenne durée (de quelques minutes à quelques heures). Au niveau du stationnement longue durée, et notamment pour la nuit, aucune avancée n’a été effectuée. La configuration de nombreux logements, trop petits, couplée à une météo parfois humide (dégradation du vélo) et aux risques de vol, dissuade plus que certainement nombres de cyclistes potentiels.

La Ville a également mis en place le programme VéloCité qui vise la location de vélo de qualité sur des périodes allant de 3 mois à 1 an à un prix démocratiques pour les habitants (de Liège et d’ailleurs). La pertinence de ces investissements pour augmenter la part modale du vélo mérite d’être questionnée, tout comme l’effet d’aubaine que peut engendrer ce type de politique.

A côté des aménagements réalisés grâce aux budgets WaCy, on peut également pointer des réalisations profitables aux cyclistes / modes doux et à une certaine attractivité de la ville. Il s’agit notamment de la passerelle Belle Liégeoise qui constitue un tronçon majeur de l’itinéraire 2 permettant de relier le quartier des Guillemins au parc de la Boverie. Les travaux ont coûté près de 7 millions € dont 60 % à charge de la Wallonie et 40 % à charge de la programmation Feder 2007-2013 et englobe également des aménagements réalisés en rive gauche de la Meuse (Quai de Rome) qui laissent place à des zones mixtes piétons-vélos. Contrairement à la passerelle, ces derniers aménagements correspondent cependant plus à une utilisation de type « loisirs » qu’à une infrastructure purement fonctionnelle pour les cyclistes quotidiens étant donné les détours que le cheminement emprunte. De plus, les largeurs mesurées de certains tronçons sont très limites pour permettre le croisement des usagers alors que l’espace laissé aux véhicules moteurs constitué d’une 2 × 2 bandes et de zones de parcage de part et d’autres des quais est énorme.

Conclusions : Un embryon de politique cyclable

Au terme de cette analyse, il est indéniable que les budgets investis ont amené et amèneront encore des améliorations dans les déplacements quotidiens des cyclistes à Liège. Liège partait de très loin. Ravel excepté, rien ou presque n’avait été fait pour les cyclistes depuis des décennies.
Toutefois, le Gracq Liège estime que les budgets dégagés pour la politique cyclable à Liège, à savoir 4,5 millions d’euros, dans le cadre du plan Wallonie cyclable 2011-2015 n’ont pas été utilisés de la façon la plus efficace pour engendrer un transfert modal significatif vers le vélo. Le réseau actuel est loin d’être « structurant » en raison des nombreuses discontinuités et de la faible qualité des nouveaux aménagements. `

Avec ce constat, c’est toute la mobilité cycliste qui demeure paralysée. Si on observe que le nombre de cycliste augmente à Liège, il est clair que cette progression est faible comparée à ce qu’elle pourrait être si des aménagements de bonne qualité étaient proposés. Le pari d’un réseau structurant était d’offrir à tous un ensemble d’itinéraires sûrs et connectés. En échouant, elle prive les liégeois de cette option de mobilité. En l’état, les aménagements restent élitistes. Ils ne convaincront que les cyclistes les plus aguerris (souvent plutôt des hommes, jeunes…) et freineront le recours au vélo à de potentiels utilisateurs ralentis par un sentiment d’insécurité bien légitime. C’est ainsi que les femmes, les personnes peu habituées au vélo et, pire, les enfants demeureront éloignés de ce choix de mobilité. Et en empêchant les enfants de recourir au vélo, c’est l’avenir de la mobilité douce qui s’en trouve bloqué.

Comme il a été montré, les raisons sont notamment liées à d’autres projets avortés, mais plus fondamentalement au manque de priorité politique accordée à l’infrastructure cyclable. La question de la place accordée au vélo est liée à celle accordée à l’automobile. De ce point de vue, il faut bien reconnaitre que nous sommes face à des pouvoirs publics (politiques et administrations) encore beaucoup trop favorables à la voiture, que ce soit au niveau régional ou au niveau local. Quand un Gouvernement admet que chaque euro investi dans le développement du vélo permet à la collectivité d’en économiser entre 10 et 20 (Plan Wallonie cyclable adopté le 1er décembre 2010 par le Gouvernement wallon), on est en droit d’attendre un changement clair de priorités dans les aménagements et dans la façon de penser la mobilité en ville.

Le PCC de Liège avait des objectifs clairs d’aménagements pour 2020. Après avoir dépensé les fonds Wallonie Cyclable, on voit mal comment la Ville va pouvoir atteindre les objectifs annoncés et dès lors permettre au Gracq Liège de colorier l’ensemble des tronçons de sa cartographie en lignes continues. L’annonce des budgets attribués au vélo pour l’année 2017 ne présage d’ailleurs pas beaucoup d’améliorations pour les cyclistes liégeois. Bien entendu, on ne s’attendait pas à des investissements globaux (SPW + Ville) équivalents aux années 2012 à 2016 puisque la part attribuée à la Ville grâce au Plan Wallonie Cyclable (WaCy) arrivait à son terme en 2016. On pouvait toutefois s’attendre à des investissements susceptibles de prolonger la dynamique engagée grâce au plan WaCy. Avec environ 440 000 euros de dépenses pour le vélo (dont à peine 180 000 € pour le réseau cyclable), soit environ 2,2 € par habitant sur un an, ce budget s’avère largement insuffisant et ne permettra pas de poursuivre la dynamique initiée (durant les années WaCy, Liège était à environ 4,3 € par an). Le nouveau maire de Londres par exemple vient d’annoncer des investissements cyclables correspondant à environ 20 € par habitant et par an sur 5 ans , l’équivalent de l’investissement cyclable annuel au Danemark ou aux Pays Bas. Et comme le stipulait une étude commanditée par le SPW en 2014 (Van Zeebroek et al., 2014, p. 8) : « l’analyse des politiques cyclistes d’autres régions démontre que la pratique du vélo est liée aux investissements consentis. On ne voit augmenter de manière significative l’utilisation du vélo que si des dépenses publiques régulières et importantes sont consenties. Il y a peu de changement important en-dessous de 11 € par habitant ». La Ville de Liège devrait dès lors investir au moins 2 millions d’euros par an.

Malgré de beaux discours de façade, la Ville de Liège semble bloquée dans une politique de mobilité digne du XXe siècle, loupant le train majestueux emprunté par de nombreuses villes du monde privilégiant la durabilité et la qualité du cadre de vie plutôt que la pollution de l’air, le bruit, l’insécurité routière et les embouteillages. Les habitants, les chalands et les cyclistes devront donc encore faire preuve d’une immense patience pour pouvoir profiter d’une Ville moderne et agréable à vivre. Quand le bourgmestre de Liège dit qu’il souhaite une ville inclusive, innovante et résiliente , il n’accompagne pas ces mots des actions nécessaires.

Le rapport complet de l’analyse menée par le Gracq Liège sur l’évaluation du PCC de la Ville de Liège est disponible en faisant une demande à l’adresse : liege@Gracq.org

Pour citer cet article

Charlier J., Tirtiaux J., « Le plan Wallonie cyclable à Liège », in Dérivations, numéro 4, juin 2017, pp. 210-219. ISSN : 2466-5983.
URL : https://derivations.be/archives/numero-4/le-plan-wallonie-cyclable-a-liege.html

Vous pouvez acheter ce numéro en ligne ou en librairie.

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