Jean Francotte, une mémoire de Liège s’en est allée
Jean Francotte nous a quittés le 25 décembre 2015. Grand connaisseur du patrimoine liégeois, il fut architecte-restaurateur à la Ville de Liège, notamment dans cette période très particulière des années ’60 et ’70 qui a vu la démolition d’une partie du centre ancien de la cité.
Né à Liège en 1925, fils unique d’un père ébéniste et d’une mère enseignante, il avait fait sa scolarité dans l’enseignement communal et obtenu son diplôme d’architecture en 1950, puis d’urbanisme en 1959.
À l’issue de son stage auprès de l’administration communale de Seraing, il entre à la Ville de Liège en 1953 en qualité de dessinateur topographe au Service des Travaux. Il est nommé dessinateur-conducteur en 1967, devient architecte-restaurateur dès 1970 et occupera ensuite les fonctions d’architecte chef de service avant de diriger le groupe « Architecture-Autorisation de bâtir-Inspection de bâtisses ». Il fut membre de la Commission des orgues et de la Commission des recherches archéologiques de la place Saint-Lambert.
Une partie de sa carrière se passe sous l’échevinat de Jean Lejeune (1959-1976) qui avait entrepris de transformer Liège sur base d’un plan ambitieux faisant la part belle à l’automobile, mais destructeur pour le centre historique. L’échevin avait chargé Jean Francotte de récupérer des façades et des intérieurs d’édifices voués à la démolition. On se souviendra des bâtiments de la place Foch, dont La Populaire — la Maison du Peuple, créée en 1894 par le Parti ouvrier belge dans un bel immeuble de la seconde moitié du XVIIe siècle — et de l’ancien hôtel de Cortenbach de style gothico-renaissance, place Saint-Lambert, dont les façades, en tout ou en partie conservées, n’ont pas été remontées, ainsi que des maisons du quartier des Foulons — situé entre le quai de la Batte, les rues Saint-Georges et Saint-Jean-Baptiste — des rues Fond-Saint-Servais, Saint-Pierre, Hors-Château,…
Pour ce faire, Jean faisait des croquis, des relevés et d’innombrables photographies, en vue de faire replacer des façades, pierre par pierre, brique par brique, dans d’autres lieux. Parmi les maisons construites à cette époque et « habillées à l’ancienne » avec les façades récupérées par l’équipe de restauration du département d’Architecture, on compte le musée d’architecture (actuelle brasserie Curtius) dans l’impasse des Ursulines, les immeubles des XVIIe et XVIIIe siècles de la rue Saint-Georges, des maisons des rues Mère-Dieu, Féronstrée, Sur-les-Foulons, Saint-Remy et bien d’autres qu’il n’est pas possible d’énumérer ici et qui font partie des « maisons voyageuses » de Liège.
Certes, aujourd’hui, on voit les choses autrement et le « façadisme » n’a plus la cote, ni l’application de décors « rapportés ». Il n’empêche, grâce à la persévérance et au travail précis de Jean Francotte et de son équipe d’architectes, de conducteurs, de dessinateurs, d’artisans tailleurs de pierre et sculpteurs, d’ouvriers maçons, de carreleurs et plafonneurs, nombre de façades remarquables et de nombreux éléments du patrimoine liégeois ont été sauvés et sont encore en place aujourd’hui. Il faut leur rendre hommage.
Il a par ailleurs participé à la restauration de lieux emblématiques comme l’ancien couvent des frères mineurs (actuel musée de la Vie wallonne) dont il avait restitué la galerie à balustres, du béguinage du Saint-Esprit dans l’impasse des Ursulines, des voûtes de l’église Saint-Barthélemy, d’une partie du musée Curtius, du couvent des Récollets en Outremeuse, de la maison du Seigneur d’Amay…
Il sera ensuite responsable à l’Urbanisme, puis aux Autorisations de bâtir où il terminera sa carrière en 1989.
Son objectif de sauvegarde du patrimoine a heureusement pu se poursuivre dans le cadre de sa présidence de la Société royale « Le Vieux-Liège ».
Un fonds important portant son nom, en provenance de l’ancien Musée de l’Architecture, est mis en dépôt par la Ville au Centre d’archives et de documentation de la Commission royale des Monuments, Sites et Fouilles. Il comprend des plans, des relevés et des croquis d’un patrimoine souvent disparu. Mais là où il nous a livré le plus d’informations sur l’évolution de sa ville, c’est grâce à son regard de photographe. Toujours en chemin et muni de son appareil, il a capté des milliers de lieux, d’objets d’art, de monuments et de décors.
Ce sont là des témoignages importants pour la connaissance de Liège dans les dernières décennies du XXe siècle.
On ne peut que respecter l’énorme travail de mémoire d’un architecte pour qui le patrimoine fut la passion d’une vie.
Je remercie M. Pierre Bricteux, actuel responsable du service de l’Aménagement du Territoire du département de l’Urbanisme et M. Joseph Delhaxhe, président du Vieux-Liège, pour les informations qu’ils m’ont fournies ainsi que MM. Jacques Bertrand et Jean Charron qui faisaient partie de l’équipe de restauration de Jean Francotte et qui m’ont parlé des travaux de cette époque et d’un homme dont il saluent à la fois l’autorité, la compétence et l’amabilité.
Pour citer cet article
Mairlot M., « Jean Francotte, une mémoire de Liège s’en est allée », in Dérivations, numéro 2, mars 2016, p. 18. ISSN : 2466-5983.URL : https://derivations.be/archives/numero-2/jean_francotte.html
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