Dérivations

Pour le débat urbain

Paysage cinématographique et enjeux urbains

« Le Central », « l’Olympia », « le Moderne » ou encore « le Century » sont des noms qui n’évoquent pas grand-chose pour les cinéphiles liégeois d’aujourd’hui. Et pourtant, ces salles de cinéma ont rythmé pendant parfois plus d’un demi-siècle la vie de leur quartier. Lieux de socialisation incontournables pour des voisinages entiers, elles constituaient aussi de véritables catalyseurs économiques pour les cafés, restaurants, commerces qui se trouvaient à proximité. Alors que dans les décennies de l’après-guerre, le rideau rouge s’abaissait définitivement sur les écrans de Retinne, de Tilleur, de Jemeppe, de Sainte-Walburge ou des Guillemins, le paysage cinématographique de l’agglomération liégeoise s’est restructuré autour d’une poignée d’acteurs géographiquement proches l’un de l’autre.

Le but de cette analyse est de dégager les enjeux urbanistiques de l’évolution du paysage cinématographique à Liège et dans sa région. Pour ce faire, nous étudions dans la première partie la disparition des cinémas de quartier, leurs causes et conséquences, et, dans la deuxième partie, nous questionnons l’évolution des opérateurs de cinéma, avec une attention particulière au potentiel qu’offrent les diverses solutions de réhabilitation des projections de proximité.

La disparition des cinémas de quartier

La multitude de salles obscures qui parsemaient l’agglomération liégeoise n’a pas disparu du jour au lendemain. Leur fermeture s’inscrit dans la crise de la fréquentation des cinémas qui survient dans les pays occidentaux après la Seconde Guerre mondiale. En Belgique, les effets économiques de la désaffection du grand public commencent à se manifester à partir de 1958 |1|. À cette date s’amorce un important mouvement de fermeture de salles. Ces infrastructures ne sont plus rentables pour plusieurs raisons.

Les Trente Glorieuses apportent tout d’abord à la population une élévation de la qualité de vie et la possibilité de pratiquer des loisirs jusque-là exclusivement réservés aux classes les plus aisées. Le shopping, le tourisme, les restaurants ou encore le sport investissent le temps libre.

Parallèlement à l’émergence de ces occupations concurrentielles, l’arrivée à la fin des années cinquante du téléviseur dans les foyers constitue la menace la plus sérieuse pour le cinéma. En 1970, 65 % des ménages belges possèdent une télévision |2|. L’écran couleur, l’élargissement de la télédistribution et le VHS confortent au fil des années la place qu’occupe cette nouvelle technologie dans les familles.

La possibilité de regarder des films depuis son domicile dans des conditions toujours plus optimales bouleverse profondément le fonctionnement de l’exploitation cinématographique. Pendant longtemps, les cinémas se distinguaient selon l’ancienneté des films qu’ils proposaient. Tenus par des dispositions contractuelles, les distributeurs fournissaient en priorité les nouveautés aux salles d’exclusivité, principalement situées dans les centres-villes. Ils devaient attendre ensuite un certain laps de temps avant de les vendre, à un prix moins élevé, aux exploitants de quartier. Ceux-ci projetaient donc essentiellement des long-métrages sortis en ville depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Le petit écran, en proposant des films anciens et des actualités, supplante par conséquent les cinémas de proximité. La généralisation de l’usage de la voiture, en parallèle, permet aux spectateurs des périphéries de fréquenter les salles d’exclusivité du centre.

En réaction se développent alors les cinémas multisalles, qui, par esprit de différenciation, misent sur l’élargissement de l’offre, le confort et la qualité du dispositif cinématographique. En comparaison, les salles de quartier apparaissent de plus en plus inconfortables, délabrées, pourvues d’un équipement archaïque |3|. Dans ce contexte, le violent incendie qui ravage le « Rio », à Sclessin, le 3 avril 1955 et fait trente-neuf victimes, en majorité des enfants |4|, entache la réputation des salles de faubourgs qui, en l’espace de trois décennies, deviennent de lointains souvenirs.

Le paysage cinématographique actuel en agglomération liégeoise

À quelques rares exceptions près, les cinémas qui animaient les quartiers et communes de l’agglomération liégeoise ont fermé leurs portes. Même si de petites structures perdurent, comme le « Cercle du Laveu », le ciné-club serésien ou encore le « Nickelodéon », les entrées se distribuent pour l’essentiel entre deux opérateurs. On distingue d’une part la chaine belge Kinepolis, présente depuis 1997 à Rocourt et également propriétaire du « Palace », au cœur de la Cité Ardente. D’autre part, l’asbl liégeoise « Les Grignoux » dirige le « Churchill » et le « Sauvenière », au centre-ville, ainsi que « Le Parc », à Droixhe. Il est à noter que le projet d’aménagement de cinémas dans le complexe commercial de la Médiacité pourrait, dans les prochaines années, fragiliser les opérateurs existant s’il se concrétise |5|.

En somme, la programmation du distributeur Kinepolis, axée sur les blockbusters américains, est contrebalancée par celle des Grignoux, davantage orientée sur la qualité et la diversité culturelle. En région liégeoise, comme ailleurs en Belgique, la disparition des cinémas de quartier a donc débouché sur la cohabitation de deux types d’infrastructures : les multiplexes et les salles d’art et d’essai. En plus d’incarner schématiquement deux conceptions différentes du septième art, comme bien de divertissement ou bien culturel, ces établissements soulèvent aussi des questions quant aux rapports avec leur lieu d’inscription.

À côté de ces opérateurs, de nouvelles formules de cinéma de proximité tentent également de se forger une place.

Ces trois modes de fonctionnement sont analysés successivement ci-dessous.

Les multiplexes : standardisation et espaces autistes

Du côté des multiplexes tout d’abord, le « Kinepolis Rocourt » est un bâtiment imposant, pourvu d’une architecture standardisée, qui se détache assez sévèrement de son environnement. L’aménagement intérieur, consacré au merchandising, en fait un univers d’évasion clos, uniquement tourné vers lui-même |6|. Le multiplexe est un endroit essentiellement voué au loisir et à la consommation. On peut l’apparenter, suivant le vocable de Marc Augé, à un « non-lieu », un espace de transit dépourvu de dimension identitaire ou relationnelle |7|. Contrairement au cinéma de quartier, fréquenté par des spectateurs appartenant au même voisinage, le multiplexe se destine à une masse d’anonymes qui ne seront pas amenés à socialiser autour du film qu’ils viennent de voir. La centralisation géographique des salles s’accompagne d’un dispositif d’accès prévu exclusivement pour l’automobile : proximité des grands axes routiers et parkings en abondance font partie des critères requis pour le choix de l’implantation des infrastructures, et ce, même en plein centre-ville, comme en témoigne le projet de multiplex au sein du centre commercial « Médiacité ».

En 2012, les productions américaines réalisaient 65 % des entrées en Europe |8|. Leur ultravisibilité est assurée par des budgets marketings faramineux. À côté de cela, de nombreux films disposant de moyens réduits sont peu, voire pas du tout, distribués en Belgique. Il y a donc un enjeu démocratique à proposer les alternatives que sont les salles d’art et d’essai.

Art et essai : le lien social au coeur de la diversité culturelle

La salle d’art et d’essai, s’insère généralement dans le bâti existant ou, comme dans le cas du cinéma Sauvenière, est attentive à proposer une forme architecturale originale et harmonieuse avec son environnement et peut constituer un moteur de réhabilitation de l’espace alentour, comme en témoigne la requalification récente de la Place Neujean, largement libérée de l’emprise de la voiture. Cependant, le lien de tels opérateurs avec la population de leur quartier n’est pas évident. L’un des exemples les plus significatifs à Liège demeure sans doute le cas du cinéma « Le Parc », situé à Droixhe. Un récent rapport du CEDEM fait état d’une distance sociale entre le cinéma et les habitants : ce lieu est perçu par les riverains comme « dans le quartier » plutôt que « pour le quartier » |9|.

Promouvoir la création d’espaces de projection locaux pose donc la question de savoir comment attirer les spectateurs vers un cinéma qui n’est pas mainstream. La diversification est la stratégie qu’adoptent de nombreux exploitants sensibles à cette problématique, alternant dans leur programmation des productions commerciales, des films d’auteur ou encore des grands classiques. Utile à la survie économique, cette stratégie a pour objectif de cultiver la curiosité du grand public pour le cinéma d’art et d’essai. Elle va souvent de pair avec une mise en place d’activités complémentaires autour du film : débats, concerts, animations... La diversification peut aussi sortir de l’espace de projection. Au Sauvenière, la brasserie est un lieu de convivialité où l’expérience cinématographique se poursuit autour d’un verre. On rappellera d’ailleurs que de nombreux cinémas de quartier, autrefois, se situaient à l’arrière-salle de cafés. « Entre la salle elle-même et le guichet, il existe donc une zone propice aux échanges. C’est dans cet espace interstitiel que l’on peut imaginer de développer d’autres pratiques culturelles » |10|.

La multiplication de lieux diffusant des films d’art et d’essai est essentielle pour le maintien de la diversité culturelle cinématographique. « Puisqu’il y a peu de cinémas d’art et d’essai sur le marché, peu de distributeurs achètent ce type de films et peu d’œuvres sont donc disponibles. L’exploitant, qui plus est, doit donner à chaque film une rentabilité espérée s’il veut que le distributeur achète encore des films » affirme Jean-Marie Hermand, administrateur-délégué des Grignoux. En France, l’Etat encourage les municipalités à réinvestir les anciennes salles de quartier. L’Agence pour le développement régional du cinéma (ADRC) a pour mission de maintenir un réseau de salles diversifié sur l’ensemble du territoire français. « Malheureusement, il n’y a pas chez nous de politique de création de cinémas. La Belgique reste assez nulle lorsqu’il s’agit de promouvoir l’ouverture de salles. Leur mise en place provient essentiellement d’initiatives locales, de la volonté de certaines communes qui décident à un moment donné qu’elles veulent monter un cinéma ».

La diversification des lieux de projection, d’autre part, ne peut être pensée aujourd’hui séparément du passage au numérique. Depuis le début du nouveau millénaire, les traditionnelles bobines 35 mm sont progressivement remplacées par des fichiers informatiques, amenant les distributeurs à réaliser des économies considérables, mais fragilisant sérieusement les petits exploitants. Pour financer leur conversion à la nouvelle technologie, la plupart des salles indépendantes n’ont pas eu d’autre choix, si elles voulaient continuer à bénéficier des sorties hollywoodiennes, que d’avoir recours à d’importantes subventions publiques ou à des tiers investisseurs.

Il faut savoir en effet que, déterminées à prendre les devants de ce tournant crucial, les majors américaines se sont regroupées en 2002 au travers d’un consortium, la Digital Cinema Initiatives (DCI), afin de décider de l’architecture et du modèle économique du d-cinema. Les studios ont fixé une norme de fichier numérique pour l’exploitation en salle, accompagnée de spécifications quant à l’équipement nécessaire pour la projection |11|. Ce matériel est notamment constitué de cabines munies d’un serveur qui décrypte les films grâce à une clé octroyée par le distributeur, valable pendant un temps délimité et uniquement sur machines conformes aux standards de la DCI |12|.

Alors que le prix des vidéoprojecteurs numériques à très haute résolution a considérablement diminué ces dernières années, les équipements professionnels compatibles avec le conteneur DCP (format recommandé par la DCI) demeurent actuellement à des montants qui s’étendent de 30 000 à 60 000 euros. Face au coût élevé, plusieurs salles indépendantes recherchent activement des alternatives. C’est notamment le cas des cinémas Utopia en France. Les exploitants travaillent actuellement avec des chercheurs sur le développement de logiciels open source qui permettraient de décoder et projeter des fichiers DCP |13|. Leur ambition, à terme, serait de parvenir à remplacer l’onéreux équipement actuel par un ordinateur standard. Si elles aboutissent, ces recherches ouvriraient la voie à davantage d’initiatives en lien avec la multiplication des salles indépendantes.

Cinémas de proximité : réinventer l’ancrage local

Malgré tous ces défis, le développement du cinéma de proximité à Liège et dans sa région n’est pas impossible à mettre en œuvre. Nous qualifierons ici de « cinéma de proximité » des espaces de projection géographiquement proches de leur public, sensibles aux attentes de la collectivité locale et qui, dans l’esprit des anciens cinémas de quartier, génèrent du lien social autour d’eux. Ils comportent souvent une vocation culturelle, car la diffusion « mainstream » est accaparée par d’autres structures. C’est le cas par exemple des Variétés à Waremme, cinéma mono-écran qui conforte sa programmation commerciale par des films « plus pointus » |14|. La salle de proximité est une opportunité de diffuser des œuvres qui n’ont pas pignon sur rue. Pour cette raison, les critères qui déterminent si un cinéma d’art et d’essai est aussi un cinéma de proximité, ou si un cinéma commercial de proximité est aussi partiellement un cinéma d’art et d’essai peuvent être multiples et discutés. Les stratégies de diversification et d’élargissement du public peuvent comporter ou non une dimension de proximité avec le quartier. Par exemple, des dispositifs d’éducation aux médias tels qu’Ecran Large sur Tableau Noir, créés par les Grignoux en 1982, familiarisent les plus jeunes avec le cinéma d’art et d’essai, mais s’adressent à tous les jeunes qui sont intéressés, indépendamment de leur activité ou de leur résidence dans le quartier. Le festival Caméras Citoyennes donne les moyens à de jeunes Serésiens de s’initier à l’expérimentation du langage cinématographique par la réalisation de courts-métrages qui sont ensuite projetés au centre culturel de la ville. Dans ce cas, le lien avec la population locale se réalise à la fois en amont dans la production et en aval dans la diffusion. La combinaison des deux est d’ailleurs intéressante en ce que les habitants du quartiers peuvent être plus facilement intéressés à visionner ce que leurs voisins ont réalisé.

Recréer des cinémas de proximité demande donc de la créativité. Voici encore trois expérimentations qui nous semblent intéressantes à explorer dans le cadre de cette réflexion.

Aujourd’hui, les écrans gonflables permettent au cinéma de s’approprier tout type de lieu, de sorte qu’il est aisé de réinvestir l’espace public, de lui redonner une fonction culturelle et sociale de rencontre. Par exemple, depuis 2005, l’asbl Promusea investit annuellement la place Saint-Etienne pour sa « Nuit du Court-Métrage », qui met à l’honneur des créations belges et liégeoises. Le cinéma Sauvenière organise aussi annuellement des projections dans sa cour intérieure. En 2010, les Grignoux ont reçu un important subside dans le cadre l’opération « Métropole Culture » |15| pour mettre en place un « ciné-quartier ». Du partenariat de l’asbl avec les acteurs locaux de Sclessin, des Vennes et de Sainte-Marguerite est née dans chacun de ces trois quartiers une fête associative suivie d’une projection en extérieur.

Génératrice de lien social, la projection en plein air est aussi propice à se faire porte-parole de problématiques urbaines. L’une des initiatives les plus abouties dans ce sens fut sans doute le festival « J’ai des Visions » qui connut quatre éditions, de 2010 à 2013. Sur le modèle du PleinOPENair à Bruxelles, les projections se sont déroulées dans des lieux insolites comme le terril du Piron ou le site de la Chartreuse. Derrière la diffusion de films d’auteurs en lien avec l’espace de vision (par exemple le Paranoid Park de Gus Van Sant au skatepark de Cointe) se trouvait un réel objectif d’exploiter les possibilités offertes par le septième art en termes de réappropriation citoyenne et de questionnement autour de la ville.

À côté de cela, le cinéma itinérant apparait comme une autre piste intéressante. Dans ce concept, les films se déplacent vers le public plutôt que le contraire. « Ere Doc ! », par exemple, est une structure dont l’objectif est combler le manque de cinémas d’art et d’essai en Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans l’optique d’élargir la diffusion des documentaires belges, elle se propose de transformer en espaces de projection toutes sortes de lieux de proximité variés : écoles, bibliothèques publiques, syndicats, maisons de retraite... Dans le même esprit, le programme itinérant « Ciné-soupe » organise en Belgique francophone et dans le Nord de la France des projections de courts-métrages suivies d’un bol de soupe.

Enfin, les centres culturels ont certainement un rôle important à jouer dans le développement du cinéma de proximité en agglomération liégeoise. À Seraing, par exemple, un ciné-club est organisé deux fois par mois, avec à son programme des long-métrages d’art et d’essai et des films grand public déjà disponibles sur DVD ou Blu-ray. Ici, la démocratisation des vidéoprojecteurs permettrait de multiplier des initiatives de ce type. Les salles polyvalentes de centres culturels pourraient régulièrement être investies par le public local pour y projeter des films qui parlent à la collectivité.

Constituant trois vecteurs de proximité, le plein air, le cinéma itinérant et les centres culturels représentent des pistes d’action intéressantes pour proposer une alternative à la concentration géographique de l’exploitation cinématographique. Beaucoup de ces initiatives, malheureusement, demeurent très ponctuelles et totalement étrangères à bien des habitants de l’agglomération liégeoise.

Conclusion

La standardisation de la diffusion culturelle et la centralisation de celle-ci aux mains de grands groupes économiques a généré deux types de réactions dans le monde du cinéma, répondant à deux éléments qui avaient quasiment disparu avec la fermeture des cinémas de quartier : la diversité culturelle et l’ancrage local. Le maintien de la diversité de la création et de la diffusion est assurée par les cinémas d’art et essai, tandis que la reconnexion avec le « local » prend des formes très diverses. Dans un monde globalisé, le terme prend en effet des significations différentes, et l’échelle géographique du quartier n’est plus la seule possible. Le local peut ainsi être la ville dans son ensemble, ou un lieu ou bâtiment très précis, comme une école ou une maison de repos. L’ancrage local peut aussi se décliner selon les étapes de la production cinématographique et concerner la réalisation, l’édition, l’opérateur de diffusion ou le public. Le lien social, qui peut se créer autour d’un écran entre des cinéphiles venant de régions différentes, est un aspect commun aux deux contre-courants. Dans les faits, les différents aspects se combinent régulièrement au sein des initiatives alternatives.

Dans toutes ces évolutions, on voit en filigrane une évolution urbaine, mais qui ne semble pas théorisée comme telle. Or, l’évolution des cinémas de quartier vers des complexes multisalles a, à la fois, été permise par des évolutions de la ville (infrastructures de transport, évolution des techniques) et a généré des changements dans sa structure spatiale et relationnelle : transfert des activités économiques jouxtant les salles dans les quartiers vers des complexes clos, réservés à la clientèle et situés dans des espaces privés, dislocation du lien social dans les quartiers (dans les salles et les commerces), avec certainement une influence sur le sentiment d’appartenance et un amoindrissement de l’identité des quartiers, dans la mesure où les salles de proximité adaptaient leur offre à leur public et produisaient en retour un socle commun de références culturelles à celui-ci.

Les alternatives qui voient le jour répondent toutes partiellement à un ou l’autre de ces enjeux, mais le lien social s’effectue en réseau à d’autres échelles et souvent entre personnes ayant un bagage culturel qui les attire vers des formules originales et alternatives ; les cinémas itinérants qui résolvent des problèmes de mobilité en allant vers le public sont ponctuels et éphémères et ne permettent pas de créer une identité culturelle à un lieu, et l’ancrage local n’est plus synonyme de public local tant les formes sous lesquels il se décline sont diversifiées. Toutes intéressantes et nécessaires pour contrer le mouvement d’uniformisation culturelle, tant sur la forme que sur le fond, ces initiatives n’ont guère — jusqu’à présent — pris en considération les enjeux d’urbanité qui se jouent dans la recomposition du paysage culturel.

Par contre, le cinéma en tant qu’objet est devenu pour certaines initiatives (« Plein Open Air » et « J’ai des visions ») un outil de réappropriation de l’espace public, au sens morphologique et au sens du débat démocratique sur l’évolution des villes. Il est un support à l’acte d’occupation de l’espace comme lieu appartenant à tous et à la parole sur le devenir des espaces occupés.

La question sociale, qui nécessite une combinaison indissociable de facteurs d’accès à la culture — et non au divertissement — reste, elle, entièrement posée.

Alfonso Vigliotti, avec Mathilde Collin

|1| « Le secteur cinématographique en Belgique (II) », Courrier hebdomadaire du CRISP, 1977/24, n° 770, p. 6.

|2| Michel Jaumain et Guy Vandenbulcke, « L’exploitation cinématographique en Belgique : audience et mutation de l’offre », Courrier hebdomadaire du CRISP, 1986, vol. 1129, no 24, p. 17.

|3| Michel Ginter, « Vie et mort d’une salle de cinéma de quartier », in Cahiers JEB, vol.77, 1977, p. 152.

|4| Jean-Louis Lejaxhe, Histoire des cinémas liégeois, Liège : Noir Dessin Production,‎ 2008, 2e éd. (1re éd. 1999), pp. 163-165.

|5| Mathilde Collin et Geoffroy Lhoest, « "Médiaciné", les cinémas de trop ? », site web d’ urbAgora, http://urbagora.be/interventions/enquetes-publiques/mediacine.html (page consultée le 20/03/2015).

|6| Florence Carion et Aurore Van de Winkel, « Approche esthétique de l’organisation : le cas des salles de cinéma », in Recherches en communication. Espace organisationnel et architecture, 2002, n°18, p. 71-88.

|7| Marc Augé, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris : Seuil, 1992.

|8| « La nouvelle stratégie pour le cinéma européen vise à stimuler la diversité culturelle et la compétitivité à l’ère numérique » in Commission européenne [en ligne], http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-560_fr.htm (page consultée le 09/04/2015).

|9| Jérémy Mandin, « La participation culturelle des habitants de Bressoux-Droixhe. Structure de la vie culturelle, modalités de participation et dynamiques de genre », rapport de recherche réalisé par le Centre d’étude de l’ethnicité et des migrations (CEDEM) pour l’échevinat de la Culture de la ville de Liège, 2013, p. 52.

|10| Atelier parisien d’urbanisme, « Pour défendre les cinémas de quartier à Paris », étude de l’atelier parisien d’urbanisme, 2001, p. 11.

|11| Nicolas Bertrand et Jean-Denis Durou, « Cinéma numérique : état de l’art d’un point de vue Art et Essai. », Mémoire de stage de master, Université Paul Sabatier, 2011, p. 12.

|12| MANICE, « Encryptage » in Manice [en ligne], http://www.manice.org/glossaire/encryptage.html (page consultée le 15/04/2015).

|13| Nicolas Bertrand, Simona Prodea, Jean-Denis Durou et al., « Lecture de DCP pour le cinéma numérique avec le lecteur multimédia VLC et libav/ffmpeg » in Coresa, novembre 2013.

|14| Asbl Les Variétés, « Historique » in Ciné variétés [en ligne], http://www.lesvarietes.be/pages/index-22.htm (page consultée le 08/04/2015).

|15| Ce financement a été lancé par la Communauté française à la suite du mouvement « Liège 2015 » et du débat sur le mode de désignation de la Capitale européenne de la culture — attribuée à Mons — qu’il avait lancé.

Pour citer cet article

Collin M., Vigliotti A., « Paysage cinématographique et enjeux urbains », in Dérivations, numéro 1, septembre 2015, pp. 114-119. ISSN : 2466-5983.
URL : https://derivations.be/archives/numero-1/cinema_de_quartier.html

Ce numéro est épuisé.

Les commentaires des lecteurs

Paysage cinématographique et enjeux urbains

par Jamin, le 6 mars 2016

Bonjour,
Je tiens à vous féliciter pour votre article sur la disparition des cinémas de quartier
Très bien expliqué et je pense à regret que tous ces cinémas de quartier sont
définitivement disparus au profit des multi-salles ou il faut une voiture pour s’y rendre ! ou avec l’espoir de 6 nouveaux cinéma à la Médiacité à considérer comme cinéma de quartier ?
Quand je pense à ma jeunesse ou à Liège il y avait je pense 12 salles de cinéma,
et dans le centre il reste uniquement le complexe Palace et les Grignoux.
Bonne continuation pour votre revue la Dérivation, et recevez mes salutations.

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